Renlin Wu, Qing Hai
Les Travaux et les Jours, ce titre emprunté à Hésiode correspondrait mieux à cette description des tâches arides de l’agriculture, plutôt qu’une allusion à la phrase de la Genèse qui nous fait craindre, en passant l’aspirateur, d’avaler quelques ancêtres.
Le titre chinois est Yin ru chen yan, ce qui, comme chacun sait, signifie « Caché dans le pays des cendres et de la fumée » ou, en langage simple, « Ce qui n’est plus que cendre n’en existe pas moins pour autant ». De nombreux petits feux ponctuent d’ailleurs le récit comme pour donner au titre symbolique une pertinence tangible. Le retour des hirondelles est lui une allusion au cycle des saisons et c’est bien à cette succession que nous assistons en suivant la vie d’un couple disons peu gâté par la nature et qui est marié par leurs familles qui souhaitent se débarrasser d’un rustre et d’une femme fragile. C’est l’évolution de cette relation que nous observons, ponctuées par quelques événements comme le fait que le mari est seul à pouvoir donner son sang pour sauver un membre de sa famille ; ce qui le valorise. Il a du « sang de panda », c-à-d rhésus négatif sans antigène D et nous comprenons bien entendu que ces transfusions successives ont un sens symbolique.
Ce couple vit intimement avec un âne dont le destin n’est pas plus enviable que celui de ses propriétaires, mais par son attachement, son inlassable dévouement, il devient véritablement un membre de cette famille à laquelle il apporte la seule aide dont elle dispose pour ses tâches harassantes. Le film suit un rythme délibérément lent et contemplatif, ce qui nous permet d’admirer chaque moment car ils sont tous aussi inattendus qu’emprunts d’une poésie intime qui nous fait partager le quotidien de ces deux êtres qui se comprennent sans se parler, s’aiment sans se toucher et travaillent sans se lasser.
La beauté formelle du film ajoute à l’envoutement qu’il suscite, d’autant que le cinéma chinois n’est pas très fréquent sur nos écrans. Nous nous souvenons de Zhangke Jia dont le film Ash is Purest évoquait aussi les cendres, ou Moutains May Depart qui suit sur la longueur des personnages aux visages marmoréens, comme ceux de ce couple.
Ici le réalisateur a connu un succès public qui a déclenché la censure. Ce qui, de la part d’une dictature, est assez cohérent car le film montre une Chine en 2011, corrompue et très arriérée, au moins dans la région de Gansu, aux confins de la Mongolie, la voie de la route de la soie. Le travail a été immense pour filmer les saisons et une maison construite à la main pour les besoins du film, par la famille du réalisateur, dont l’oncle et l’acteur principal.
Ce type de film me semble justifier chaque fois le cinéma car il témoigne de ce que nous ne pourrions ni voir ni imaginer sans être devant un grand écran.
un ami de CineFemme Francis de Laveleye