Il n’y a rien d’extraordinaire pour un fils à adopter le métier du père.
Ce qui est, par contre, plus exceptionnel est de porter, sur les fronts baptismaux de son entrée dans le monde du 7ème art, un projet que son géniteur souhaitait adapter à l’écran depuis bien longtemps (*) Et de le faire au sein d’une matrice devenue garante de qualité depuis les chefs d’œuvre (**) qu’y a réalisés un exceptionnellement talentueux ascendant : les studios Ghibli.
Est-ce pour se sortir de ce lien doublement étouffant que Goro Miyazki débute son film par la scène d’un père tué par son fils ? Quoiqu’il s’en défende (« Les cahiers du cinéma » n° 616 page 17) il n’en reste pas moins vrai qu’en choisissant de privilégier les thèmes du parcours initiatique et du passage de flambeau, la question garde toute sa pertinence.
Ursula K.Le Guin, dont la saga en 4 volumes (***), sert de plateforme inspirante aux aventures du Prince Arren, est La Grande Dame de la science-fiction qui a, de l’histoire du Monde, la vision d’une succession de crises et d’affrontements. Chacun de ces défis étant l’occasion d’un apprentissage visant à rétablir, à travers un équilibre individuel, une homéostasie collective.
Miyazaki partage l’approche humaniste et solidaire des rencontres selon Ursula K. Le Guin : ce n’est qu’à travers l’alliance d’Arren à un magicien et à une secrète jeune fille, que Cob, la sorcière en quête d’une vie éternelle, pourra être vaincue et l’univers remis d’aplomb.
Ce qui est un peu perturbant dans ces « Tales … » c’est une distorsion qui s’installe entre le fond et la forme. Donnant à l’animation en images de synthèse ses limites, tiraillées entre une intention manifestement naturaliste (voire écologiste) et une incapacité à la traduire par des paysages qui semblent suffoquer sous leur artificielle reconstruction.
L’héroïc-fantasy est un genre qui fonctionne bien lorsqu’il se déplie dans les saignées d’une onirique somptuosité. Saignées singulièrement absentes au profit de fades et vitreuses reconstitutions architecturales que l’on dirait sorties d’un logiciel en décorations extérieures d’inspiration gréco-romaine.
Ce manque dirimant, au lieu d’être comblé par une gestion raisonnable du temps, est aggravé par une longueur du propos qui découragera les jeunes spectateurs auxquels s’adresse ce film.
Ne comparons pas le père et le fils Miyazaki. Comparons plutôt les dragons qui envahissent, régulièrement, les écrans. Notamment celui dont « Eragon » se fait un efficace partenaire dans le film de Stefan Fangmeier. Et demandons-nous si cette complicité n’est pas le reflet d’une capacité à bien communiquer qui semble absente chez Arren, engoncé comme pas mal de jeunes adolescents, japonais ou pas, dans un mal-être qui les pousse à tuer, la plupart du temps, symboliquement le père et à y substituer un idéal (****) doué de fantastiques (et fantasmatiques) pouvoirs. (m.c.a)
(*) dans les années 1980, Hayao Miyazaki avait écrit un manga « Le voyage de Shunga » d’après les « Contes de Terremer »
(**) « Princesse Mononoké », « Mon voisin Totoro », « Le voyage de Chihiro »
(***) parus aux éditions Robert Laffont
(****) comme ceux de l’archimage Epervier