Danny Dyer, Lesley Manville
Par sa structure narrative et formelle, « The Great Ecstasy » resitue le cinéma dans ce qu’il est par essence : une double projection. Celle des images sur l’écran et celle du spectateur sur ces images. Thomas Clay, dont c’est la première réalisation, porte sur un monde - celui d’un petit port de pêche du Nord de l’Angleterre où des adolescents englués dans une sensation de « no future » errent entre drogues et désœuvrement – un regard objectal (*) qui va enclencher, chez le spectateur, une série d’émotions et de questionnements allant du rejet pur et simple, à la fascination ou à l’impossibilité de supporter la vision dans son intégralité.
Après une ouverture de film proche de la contemplation, le réalisateur nous entraîne, comme Dumont avec « Twentynine Palms » ou Vincent Gallo et « Brown Bunny » dans une assomption vers une sauvagerie qu’intuitivement le spectateur redoute autant qu’il l’espère pour enfin être libéré de la chape de contention et de solitude qui se creuse au fil d’images minutieusement cadrées.
Aucune compassion dans la vision de Clay que nous propose des futurs délinquants ou victimes, aucune intention moralisatrice, dénonciatrice ou manipulatrice.
Juste un constat dont la neutralité renvoie chacun à sa propre capacité à recevoir l’idée qu’il vit dans une société où, à tout moment, l’horreur peut surgir et où un visage d’ange botticellien (celui du jeune Robert) peut cacher l’âme tourmentée d’un Bosch.
Film au propos dérangeant, comme l’est « Irréductible » de Gaspard Noé, qui ne cherche pas à caresser le spectateur dans le sens du poil et dont il faut éviter de noyer la pertinence sous le sempiternel et aporique débat du « Peut-on tout montrer au cinéma ? ».
« The Great Ecstasy » renvoie à la fois à la perte du respect de soi et des autres qu’engendre la prise de drogues du même nom et au plaisir captieux de la douleur que, du temps des mystiques, ceux-ci s’infligeaient à eux-mêmes et qu’aujourd’hui une jeunesse en déroute aime à infliger à autrui.
Sans le descriptif imagé de « Requiem For A Dream » mais par une mise en scène faite de plans rigoureux qui renvoie au jansénisme des films de Bresson et au constructivisme de ceux de Tati,
Clay nous invite à réfléchir sur ce monde sans idéal (voire sans Dieu) qui est le nôtre et où le flux des images télévisées anesthésie la capacité à juguler la fureur des désirs humains.
Ce jeune réalisateur de 26 ans réussit à mener, avec une impassible maîtrise, une approche de l’ennui et de l’angoisse existentiels dont certains ne savent sortir (extase) qu’en recourant à une violence directement proportionnelle à leur déréliction. « The Great Ecstasy » est un film dangereux mais il est aussi un film salutaire. Sa qualification dépend de la maturité de celui qui le regarde .(m.c.a)
(*) on parlerait en littérature d’ « écriture blanche »