Song Kang-ho, Byun Hee-bong, Park Haeil
Que serait le cinéma sans l’envie du spectateur de s’y projeter ou d’y voir autre chose qu’un enchaînement d’images (et de sons) dans le but de faire histoire ?
Il y a des films "ascensionnels" qui, parce qu’ils sont des incarnations métaphoriques de déréglements contemporains, se situent dans un au-delà du proposé imagier ou sonore. Ils sont en quelque sorte "beyond the pictures".
Ainsi « The host » peut être vu, en lecture minimale, comme la description d’un état de panique - traité avec un humour ridiculisant les tentatives humaines d’y faire face - déclenché par le surgissement d’un monstre de rivière, sorte de têtard mi-tricératops mi-bacille géant
Mais cette apparition, parce qu’elle est connectée à une information donnée en prologue, à savoir le déversement dans ces eaux d’hectolitres de formol périmé, six ans auparavant, revêt très vite l’allure d’une dénonciation politique qui ne cessera de prendre plus précisément forme au cours du récit. Devenant presque un almanach des failles de la société coréenne moderne : le chômage des universitaires, la paupérisation croissante, l’omniprésence des forces américaines, les mensonges et incuries du pouvoir en place, la dégradation systématisée de l’écosystème, l’individualisme forcené ….
« The host » dresse, aussi, un portrait de la famille, sur un mode tragi-comique que n’aurait pas désavoué l’Ettore Scola de « Affreux, sales et méchants ». Mais un Scola qui aurait gardé quelques illusions sur la solidarité généreuse de ses membres pour affronter des problèmes a priori insolubles. Ainsi la tendresse d’abruti déterminé avec laquelle un père recherche son enfant donne à Song Kang-ho (déjà vu dans le film précédent de Bong Joon-Ho « Memories of murder ») une humanité complexe et fascinante qui donne envie à la fois de le gifler et de l’encourager.
Film de série-B sans conteste, mais pas sans qualité. Notamment celle de transgresser les lois du film fantastique, avec l’intelligence et la tranquille audace d’un Robert Altman lorsqu’il abordait, avec anormalité, les normes des films de genre.
A des années lumières de la tradition judéo-chrétienne, il y a quand même entre ce récit d’un « alien » marin qui avale les humains et la fable biblique « Jonas » au moins un point commun. Celui d’un héros qui passe son temps à dormir et qu’une épreuve réveille et révèle à lui-même. Lui donnant l’occasion, en libérant Séoul de la présence de son hôte indésiré, d’accueillir, en hôte bienvenu, un enfant abandonné envers lequel on présume qu’il saura assumer les responsabilités de parent-adulte qui lui avaient jusqu’à présent fait défaut.
Car « The host » n’est pas qu’un pamphlet sociétal déguisé en « fantastic movie », il est aussi, et c’est, parmi les lectures plurielles qu’il autorise, sa plus belle, une fable sur l’amour paternel. (*)
Aussi intense et résolu que celui de Gepetto, le père-créateur de Pinocchio, qui, jusque dans les flancs de la baleine, poussera la recherche de son enfant perdu. (m.c.a)
(*) tandis que « Les Cahiers du Cinéma », en son numéro 617, y voit un récit sur l’absence de la figure maternelle incarnée par le monstre. Ces interprétations qui partent dans tous les sens donnent, à l’après-coup d’une vision, une saveur qui double le plaisir de la projection itself.