Benedict Cumberbatch, Keira Knightley, Mattheew Goode, Charles Dance
Tenant à la fois du biopic, du thriller et du drame historique, The Imitation Game se profile d’ores et déjà comme l’un des meilleurs sprinters dans la course aux Oscars. Benedict Cumberbatch, qui signe l’une des meilleures interprétations de sa carrière, y incarne le mathématicien de génie, Alan Turing. Longtemps dissimulé dans les zones d’ombre de notre Histoire contemporaine dans ce qu’elle eut de plus sombre et de plus glorieux, cet insatiable chercheur parvint à décrypter le code de la réputée inviolable machine Enigma, véritable outil de malheur que les nazis avaient mis au point pour communiquer durant la seconde guerre mondiale.
Basée sur une structure narrative semblable à la grande commode de la mémoire, T he Imitation Game est un film à tiroirs autant captivant que divertissant. Ouvrant tout d’abord le tiroir contenant un dossier longtemps resté classé « secret défense », The Imitation Game nous révèle non seulement comment les Britanniques parvinrent à anticiper les attaques nazies, mais il soulève aussi la question cornélienne des actes stratégiques à poser ou à éviter en temps de guerre, selon les renseignements dont on dispose sur l’ennemi.
Génie de haut vol, Alan Turing ne souffre pas moins d’un réel handicap social qui, dans ses rapports humains, fait de lui un être tantôt incompris tantôt incompréhensible. (Notons d’ailleurs au passage qu’à travers la talentueuse Keira Knightley, The Imitation Game se fait également l’écho d’un machisme, qui, aujourd’hui encore, est malheureusement loin d’être totalement révolu…)
Fort heureusement, le flegme légendaire des Britanniques et leur capacité inouïe à faire de l’humour en toutes circonstances, parviennent à nous faire rire ou sourire, même dans les moments les plus dramatiques. Et ce faisant, il nous rappelle judicieusement que l’on demeure libre de rire de tout, en dépit du fait que l’humour ne soit pas l’apanage de tous.
En réhabilitant un héros longuement resté anonyme[1], The Imitation Game , dresse non seulement le portrait intime d’un intellectuel hors du commun, mais il rend aussi son honneur à un homme qui connut une fin tragique et qui fut pénalement condamné en raison de son homosexualité, une différence qui était considérée en 1952 comme délictuelle et passible d’emprisonnement.
Ancré dans une époque qui, somme toute, n’est pas très éloignée de la nôtre, The Imitation Game rend aussi hommage à l’un des premiers fondateurs de l’informatique moderne. Or, dans le monde virtuel mais aussi tristement réel qu’est devenu le nôtre, nul ne niera que l’informatique, couplée aux infinies tentacules de ses réseaux, constitue aujourd’hui l’une des plus grandes forces mais aussi l’une des plus obscures faiblesses du progrès technologique pour les êtres en recherche de paix et de liberté. On ne peut donc rêver qu’il existe encore des femmes et des hommes humainement et intellectuellement capables de réduire à Zéro l’infinie[2] barbarie de ceux qui se considèrent et agissent comme des surhommes.
( Christie Huysmans )
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[1] Depuis 1966, l’ACM (Association for Computing Machinery) décerne le prix Turing, équivalent d’un prix Nobel. En 1986, Hugh Whitemore écrivit une pièce de théâtre intitulée Breaking the Code, laquelle rendait honneur à Alan Turing. En 1992, le mathématicien et auteur britannique, Andrew Hodges écrivit la biographie de Turing, Alan Turing : The Enigma. C’est ce livre qui inspira largement The Imitation Game. En 2008, la BBC réalisa un documentaire (Dangerous Knowledge ) dédié à 4 mathématiciens dont l’un d’eux était Alan Turing. La vie de Turing fut déjà portée à l’écran en 1996 dans un téléfilm (Breaking the Code) et fit l’objet d’un drame-documentaire (Codebreaker) en 2011. En 2009, sous la pression d’une pétition menée par John Graham-Cumming (programmeur et écrivain), le Premier Ministre Gordon Brown présenta des excuses publiques pour l’affligeant traitement qui avait été réservé à Alan Turing. Il fallut cependant attendre 2013 pour que la Reine Elizabeth gracie à titre posthume Allan Turing pour la condamnation dont il fit l’objet en 1952 en raison de son homosexualité.
[2] Cfr. Le Zéro et L’Infini d’Arthur Koestler, œuvre majeure du 20ème siècle « dont le temps n’abolit pas la portée ».