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Coup de coeurTHE INVADER

Nicolas Provost (Belgique 2010)

Stefania Rocca, Issaka Sawadogo, Dieudonné Kabongo ( décédé le 11/10/2011)

95 min.
23 novembre 2011
THE INVADER

La grande colère de Nicolas Provost. Contre cette Europe, cette Belgique qui écarte et piétine ceux qui n’entrent pas dans ses normes.

A quoi reconnaît-on la force d’un cinéaste ? A sa capacité de s’emparer d’un thème d’actualité, de le désosser, de lui donner une forme qui le transforme.

Autrement et plus audacieusement.

Aux images perception, action et affection pointées par Gilles Deleuze dans ses sommes consacrées au cinéma (*), Nicolas Provost ajoute celle de la réflexion.

Une réflexion fine et intelligente qui hante bien après la projection parce qu’elle recoupe une actualité prégnante qui fait se choc-er les opinions.

C’est en emboîtant le pas d’Amadou, un clandestin africain qui a rejoint l’Europe au péril de sa vie, que le réalisateur choisit de développer son point de vue sur le sujet sensible de l’immigration.

Dès la première scène, puissante et belle, l’enjeu est scellé par un face à face entre un « envahisseur » venu de l’autre côté de la mer et une jeune femme dont la nudité (**) et la liberté de mouvements sont parées de toutes les promesses, de toutes les illusions du pays de Cocagne.

Du pays où il doit faire bon vivre. Du pays à l’irrésistible force attractive.

Dès cette première rencontre, les jeux sont faits et pipés : ce sera la confrontation entre deux Mondes séparés et irréconciliables.

Depuis 10 ans, Nicolas Provost est connu pour ses surprenantes vidéos-poèmes (***) et ses courts métrages ("Induction", "Exoticore") étranges qui font de ceux qui s’en laissent imprégner des spectateurs subjugués par un mélange de recherche formelle et sensibilité épidermique.

Aujourd’hui pour son premier long, il continue à surprendre et à déranger par une façon de filmer à la fois réaliste et hallucinée, à la fois accrochée au concret et à l’inconscient des personnages. 

C’est parce qu’il déborde de vitalité et du désir de vivre, d’aimer, de sortir de l’ombre qu’Amadou prendra tous les risques.

Risques de s’exposer en pleine lumière, de tisser une relation avec une « blanche belle et riche », de se venger d’avoir été humilié par elle et par tous ceux qui l’ont trahi, exploité, humilié.

De se venger et de devenir ainsi, au bout d’un chemin de croix, celui que la société, par ses préjugés, a façonné : un être violent.

Est-ce parce ce que la caméra utilisée est numérique et accompagnée d’une bande-son qui soutient et révèle la beauté des images, que « The invader » arrive à transmettre une impression de magie visuelle, à la fois dense et aérienne, à susciter un tel ressenti charnel (voire érotisé) des corps et des peaux ?

Est-ce en raison d’un montage qui tantôt dilate la scène, tantôt la resserre comme pour mieux entrer dans le secret d’un homme qui a tout quitté pour atterrir dans une ville, magnétique Bruxelles tiraillée entre quartiers interlopes, secteurs d’affaires et banlieues résidentielles, qui ne lui fera aucun cadeau.

Un homme qui restera aux yeux des autres quoiqu’’il fasse un étranger - comme Ali, le personnage principal de "Angst essen seele auf" de Rainer Maria Fassbinder.

Un alien. Que seule une voyelle sépare de ce qu’il va devenir au détour d’une époustouflante éllipse laissée à l’interprétation de chacun - un aliéné.

C’est Issaka Sawadogo (« Si le vent soulève les sables » de Marion Hänsel) qui incarne Amadou et donne à sa présence qui est de chaque plan une corporalité sous laquelle on sent (on voit) palpiter la fragilité d’un cœur qui, un jour, en aura assez de ne pas avoir été respecté.

 

Il a reçu pour son olympienne interprétation le prix du meilleur acteur au festival de Gand 2011. Le cinéaste a reçu l’Award Jo Röpke- le prix du meilleur jeune réalisateur flamand.

 

Muriel Andrin, professeur à l’ULB (section Elicit) et l’une des CinéFemme, est créditée au générique de "The invader". Elle a toujours soutenu, avec l’intelligence, la sensibilité et le talent quasi intuitif de répérer les talents en devenir qui la caractérisent, le cinéma de Nicolas Provost. (mca)

 

(*) "L’image-mouvement" et "L’image-temps" parus aux Editions de Minuit

(**) inspirée par "Eden - à l’Ouest" de Costa-Gavras qui en 2008 avait aussi choisi de localiser le premier contact de ses clandestins avec l’Occident sur une plage de nudistes ?
(***) qui prennent comme support visuel et imaginatif des scènes de films comme « Papillon d’amour » inspiré du « Rashomon » de Kurosawa - http://www.youtube.com/watch?v=FOE73vrTGQ8