Saoirse Ronan, Colin Farrell, Ed Harris, Jim Sturgess
Pourquoi une telle exaspération (de ma part) devant un film plutôt bien fait et par moments empreint d’une densité physique impressionnante ?
Est-ce parce j’attendais de la part d’un cinéaste qui a donné au 7ème art un de ses chefs d’œuvre les plus singuliers, "Picnic at Hanging Park", une implication auteur-iale moins conventionnelle ?
Est-ce parce que dans cette « Grande évasion » dont les repères sont la faim, la soif, la résistance aux températures et climats contrastés - en 1940 une petite troupe de prisonniers décide de s’évader d’un camp de travail en Sibérie pour rejoindre l’Inde - le spectaculaire le dispute et souvent l’emporte sur tout autre forme d’approche plus subtile ?
Est-ce parce que la leçon de courage proposée est assénée aux spectateurs, choisissant de lui en mettre plein la vue par une enfilade souvent époustouflante (il faut le reconnaître) de paysages à la beauté sanctionnée par le National Geographic ?
Est-ce parce que les acteurs dont à priori l’hétéroclisme est le bienvenu finissent par délaisser, au bout de 133 minutes dont un bon quart aurait gagné à être coupé, l’émotion pour le stéréotype. Glissant de dilemmes moraux en drames intimistes avec un sens accablant de la caricature ?
Est-ce parce que la mise en scène est truffée d’artifices narratifs de type hollywoodiens censés créer le suspens, l’inutile sentimentalité et la lourde réflexion politique ?
Est-ce parce que j’éprouve une méfiance devant l’authenticité de cette histoire présentée comme vraie dans le récit de Slovomir Rawicz (*) « The long walk : the true story of a trek to freedom » dont le film est une adaptation ? - je n’ai plus envie de tomber dans le piège du vrai -faux de « Survivre avec les loups » de l’écrivaine belge Micha Defonseca et adapté pour le grand écran par Véra Belmont.
Est-ce parce que la Nature y est présentée comme n’étant que puissance brutale - un des responsables du goulag la décrit en ces termes « She is your jailer and she is without mercy » ? Sans les paradoxes du « Mosquito coast » (**) du même réalisateur - film dans lequel Harrison Ford est obligé de revisiter son idéal rousseauiste lorsqu’il est confronté à la dure réalité des contrées traversées.
Sans doute toutes ces raisons ont leur part dans ma réserve vis-à-vis de cette saga sibérienne. Mais il en est une autre qui les surpasse toutes.
Pourquoi ce film dispose- t-il d’un réseau de distribution aussi étendu (20 salles !) alors que celui de Marleen Gooris « Within the whirlwind » (***) qui évoque lui aussi une histoire vraie qui se passe sous le régime de la terreur instaurée par « le petit père du peuple » n’a bénéficié que d’une sortie scandaleusement minimaliste. Une séance à Cinématek et une autre dans un ou deux festivals.
Je n’ose imaginer que c’est parce que "Within ..." est trois fois féminin.
A la fois parce qu’il est fait par une femme, parce que son sujet est l’itinéraire d’une poétesse et écrivaine russe Eugenia Ginzburg (****) et que le regard posé par la réalisatrice sur celui-ci est empreint d’un questionnement fécond bien éloigné de toute intention de visuellement performer.
Ai-je tort de ne pas oser imaginer ? (mca)
(*) en français « A marche forcée » paru aux éditions Phebus
(**) adapté du merveilleux récit de Paul Théroux paru en poche Pocket
(***) chroniqué et défendu avec talent sur ce site par Laetitia de Jaegher
(****) dont l’œuvre biographique « Le ciel de la Kolyma » est parue en poche Seuil en 2 volumes