Sandra Hüller, Christian Friedl, Stephanie Petrowitz
Une scène idyllique, comme un tableau impressionniste. Un pique-nique au bord de l’eau, un couple, des enfants… D’emblée, Jonathan Glazer nous plonge dans le quotidien d’une famille allemande aisée, villa, domestiques. Ce n’est que petit à petit que le contexte se dévoile. Uniforme du père, un mur derrière le jardin, mirador, cheminées, fumées, arrivées incessantes de trains. Et les bruits : tirs, aboiements des chiens, ordres hurlés. Du monde derrière le mur, nous ne verrons aucune image. Tout restera dans les sons. Nous sommes chez Rudolf Höss, commandant du camp d’Auschwitz –Birkenau. Après des documentaires, des fictions plus ou moins réussies, Glazer nous emmène dans les coulisses, là où tout se trame, où les bourreaux, comme des hommes d’affaires, planifient le gazage de plus de personnes possible en un laps de temps de plus en plus bref, et où, comme en trompe-l’œil, vit une famille normale, les enfants vont à l’école, le père leur lit le soir "Hans et Grëtel , la mère jardine, et cela nous vaut de magnifiques gros-plans sur des buissons fleuris. Parfois des indices, un petit garçon joue avec des dents trouvées dans le jardin, la mère essaie un somptueux manteau de fourrure, venu du "Canada", ainsi que l’on nommait le dépôt où s’entassaient les vêtements des déportés…
"La banalité du mal", les mots bien connus d’Hannah Arendt, prennent ici toute leur signification. Au-delà de la soif d’ascension sociale du couple et des bavardages futiles et mesquins de l’entourage, ce qui nous glace bien plus que toutes les séquences déjà vues sur la Shoah, c’est non pas le soi-disant aveuglement de l’épouse face à l’horreur que l’on entend, mais au contraire, son acceptation des crimes qui se commettent à quelques mètres de son petit paradis , et qu’une phrase de menace révèle.
L’angle choisi par Jonathan Glazer nous perturbe, nous questionne. En suivant au plus près des comportements qui semblent anodins, en s’attardant sur des détails quasi insignifiants, il met en évidence ce qui rend possible tous les massacres : la déshumanisation totale de l’autre, et à travers temps et espace, cela nous concerne encore.
Avec des acteurs remarquables, dont l’époustouflante Sandra Hüller, un film glaçant, dont on ne sort vraiment pas indemne, mais à voir, pour capter les dangers qui couvent.
Tessa Parzenczewski