Coup de coeur
4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s)

Coup de coeurUN CONTE DE NOËL

Arnaud Desplechin (France 2008 - distributeur : Victory Films)

Catherine Deneuve, Emmanuelle Devos, Anne Consigny, Mathieu Amalric, Jean-Paul Roussillon

152 min.
11 juin 2008
UN CONTE DE NOËL

Avec ce sixième long métrage, Arnaud Desplechin poursuit l’autopsie de la cellule familiale entreprise dans « La vie des morts »[1] et « Rois et reine »[2].

Examinant cette fois la réunion d’une famille pour un dîner de Noël, le réalisateur met à nu les liens et les émotions qui rassemblent ou éloignent les différents protagonistes.

La famille Vuillard a une genèse pour le moins sombre et complexe : un premier enfant, Joseph, décéde à 7 ans d’un cancer dévorant. Un enfant mort qui dévore de son souvenir chaque membre de la famille.

Il y a les parents, Abel (Jean-Paul Roussillon) et Junon (Catherine Deneuve), l’aînée de leurs trois enfants, Elisabeth (Anne Cosigny), accompagnée de son fils Paul Dédalus (Emile Bering), le cadet et fils rejeté Henri (Mathieu Amalric) venu avec son amante Faunia (Emmanuel Devos) et enfin le benjamin, Yvan (Melvil Poupaud), en compagnie de sa femme, Sylvia (Chiara Mastroianni) et de leurs deux enfants.

S’ajoute à ce clan peu uni le cousin Simon (Laurent Capelluto), ainsi qu’une série de vieux amis et de membres éloignés qui font de cette réunion un mêlé-cassis de personnalités diverses et de sentiments multiples. Mais si tous ces personnages sont rassemblés, ce n’est pas uniquement pour fêter Noël, c’est aussi parce Junon est atteinte de myélodysplasie, infection du sang mortelle, et qu’elle a besoin d’une greffe de moëlle.

Les non-dits n’ont pas de place dans cette chronique familiale. Au contraire, les mots y tiennent un statut essentiel. Là où le commun des mortels garderait ses sentiments enfermés au fond de son ventre, les personnages de Desplechin, eux, s’avouent tout. Aux autres comme à eux-mêmes.

Les mots sont échangés et entendus comme rarement. Les paroles partagées ont le pouvoir non pas de solutionner, mais de soulager celui qui les prononce. Et du même coup, ils nous désarment, nous, spectateurs.

Ce qu’il y a de fascinant, c’est que si la mort habite littéralement le film du début à la fin, aucune place n’est accordée au morbide. Au contraire, une sorte d’euphorie latente émane de ce « Conte de Noël ».

La fin annoncée de Junon n’est pas présentée avec des larmes, mais avec des explications concrètes. Les protagonistes sont rassemblés pour partager un moment ensemble, et par là même pour régler certains contentieux qu’ils traînent depuis des années, mais à aucun moment, la mort ne prend le dessus. Toujours la vie s’impose, victorieuse et flamboyante.

Chaque personnage emmène dans la maison familiale son propre vécu, son ressenti intime, et propose ainsi de multiples entrées possibles dans ce récit conçu comme un dédale. Narration aux ramifications infinies où autant le rejet d’Elisabeth vis-à-vis de son frère Henri, les problèmes psychologiques de son fils Paul, les amours compliquées entre Yvan, Sylvia et Simon, que les relations complexes entre Junon et chacun de ses enfants sont présentés sur le même front.

Offrant au film une sorte d’échantillons concentrés de tous les affects humains. De l’amour à la haine, de la mort à la vie naissante.

Cette multiplicité thématique trouve un répondant dans l’aspect touffu et multiplexe de l’image du film. « Un conte de Noël » mobilise en effet une pluralité de typologies représentationnelles.

Commençant par une animation en ombres chinoises, il est par la suite peuplé de photographies, d’insertions d’extraits de vieux films de Cecil B. De Mille ou de Fred Astaire, de monstration de tableaux divers. Ce syncrétisme poussé inscrit la richesse du film au sein de la matière filmique même.

De façon identique, la bande son, allant de la musique classique à la musique électronique, en passant par le jazz et la cithare, consigne la densité de la réalisation au niveau sonore.

« Un conte de Noël » a quelque chose de baroque. Baroque par une mise en scène éblouissante. Baroque par un contenu mobilisant l’ensemble des affects humains. Servi par un panel d’acteurs tous plus talentueux et justes les uns que les autres, le film nécessiterait plusieurs visions pour révéler toute sa richesse et sa densité symbolique.

A voir et à revoir donc. (Justine Gustin) 

[1] Moyen métrage qui fit sa renommée en 1991.
[2] Réalisé en 2004. Prix Louis-Delluc du Meilleur Film et César du Meilleur Acteur pour Mathieu Amalric.

_