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UN SIMPLE ACCIDENT

Jafar Pahani

Vahid Mobasseri, Maryam Afshari, Ebrahim Azizi

122 min.
1er octobre 2025
UN SIMPLE ACCIDENT

Le cinéma, en tant qu’art, a le pouvoir d’éveiller les consciences, de dénoncer des situations intolérables et de susciter des réflexions profondes sur l’évolution de nos sociétés :
« Un simple accident » de Jafar Pahani relève de ces films qui, transformant une histoire personnelle, amènent le spectateur à se confronter à sa propre réflexion sur le sens de la vengeance ou du pardon pour préserver l’humanité de nos sociétés : sommes nous capables de rester humains face à l’inhumain ? la disparition d’un régime de dictature amène-t-elle une solution ? la roue de la violence continue ?

Le film s’inspire de l’expérience du réalisateur, à nouveau incarcéré à la prison d’Evin à Téhéran en juillet 2022, contraint de purger une peine de six ans prononcée en 2010 pour « propagande contre le système ». Pahani a été libéré sous caution, après sa grève de la faim, le 3 février 2023 : « J’étais détenu par la force. On m’a jeté au cœur de plein d’idées et de sujets : pendant sept mois, j’ai écouté les histoires des autres prisonniers. Quand j’ai pu sortir, celles-ci ont fait leur chemin dans ma tête. Impossible de les oublier. Faire ce film était une question de devoir. Si réaliser est un délit, ce n’est pas moi qui l’ai commis mais ceux qui m’ont envoyé entre ces quatre murs. La réalité sociale est ma source d’inspiration. »

« Un simple accident » raconte l’histoire d’un groupe d’iraniens confrontés à un homme qui pourrait être leur ancien geôlier : par une nuit noire, un homme Eghbal (Ebrahim Azizi) accompagné au volant de sa voiture par sa femme enceinte et sa fille, écrase un chien et s’arrête devant un garage pour réparer son véhicule. Un mécanicien, Vahid (Vahid Mobasseri) se fige, croyant reconnaitre le son de la voix de son tortionnaire en prison et surtout le clic sur le sol de sa prothèse de jambe. Décidé à se venger, il le poursuit, le kidnappe et alors qu’il est prêt à l’exécuter, est pris d’un doute et décide, pour confirmer l’identité de l’homme, de rassembler d’autres anciens prisonniers victimes de ce tortionnaire : une photographe, Shiva (Mariam Afshari), Goli (Hadis Pakbaten) une « presque » mariée en robe blanche, Ali, (Majid Panahi) son futur époux et Hamid (Mohamad Ali Elyasmehr), chacun pensant le reconnaitre, par un détail différent. Ces anciennes victimes parviendront -elles à l’identifier et si oui décideront-elles de se venger, devenant ainsi à leur tour semblables à leurs bourreaux ou pourront-elles, malgré leur douleur, aller vers une certaine clémence, donnant un coup d’arrêt à la violence ?

La démonstration est servie par une mise en scène sobre, à la limite du documentaire, axée sur les visages, les regards, les mots symbole. On passe des scènes en huis clos dans la camionnette aux scènes dans la beauté du désert. Les personnages qui ne sont pas des héros ont la complexité de chacun d’entre nous. Le jeu des acteurs est naturel pour renforcer le réalisme des situations qui, sur le fond tragique, dérapent, comme c’est souvent le cas, dans des scènes cocasses.
Le son est primordial dans ce film, incarnant le rappel de la présence des geôliers face aux détenus, les yeux bandés.

Tourner ce film a été une véritable prouesse et un défi aux autorités du pays alors que Pahani a été condamné à 15 ans d’interdiction de sortie du territoire et d’interdiction de travailler. Tourné entièrement clandestinement. Comme dans « Taxi Téhéran », la camionette, qui balade le tortionnaire prisonnier, devient un lieu essentiel de tournage, un lieu qui permet de fuir.

A souligner que c’est la première fois depuis 14 ans que Pahani a pu présenter son œuvre hors d’Iran et ce fut Cannes. Le lendemain de la Palme, Pahani retournait en Iran, accueilli à l’aéroport de Téhéran, par des collègues réalisateurs, des familles de prisonniers politiques et d’autres citoyens, tel un symbole de la résistance prêt à retourner en prison. Mais le régime n’a pas osé. Jusqu’à aujourd’hui il n’a pas été inquiété.

Quel bonheur d’apprendre que cette grande fable morale et politique représentera la France à l’Oscar du Meilleur film international en 2026, suite à la décision de la commission de sélection réunie par le CNC ce 17 septembre.

Je revois encore la derniére image d’une force incroyable qui, à elle seule, résume le film. J’avoue, lorsque les lumières se sont rallumées, dans la salle du Palace, être restée sans voix, profondément bouleversée par la force de ce film qui, au-delà de la situation iranienne, pose la question de la possibilité (ou non) de reconstruire une société où victimes et coupables doivent coexister, ce qui est le cas actuellement de tant de pays dans le monde.

France Soubeyran