Lee Mi-sook
La transposition des « Liaisons dangereuses » dans la Corée de la deuxième moitié du XIXs enlève-t-elle à l’œuvre le machiavélisme de son intrigue ?
La réponse tient en trois lettres radicales : n o n .
Et pourtant cette intrigue est retorse : Valmont/Seigneur Cho, séducteur impénitent, souhaite séduire la vertueuse Présidente de Tourvel/Dame Hee-Hyong et continuer à obtenir les faveurs de la dissolue Marquise de Merteuil/Dame Cho-Won qui ne lui cédera à nouveau que s’il initie aux plaisirs charnels la petite Volanges /So Oak afin de la venger d’un de ses amants à la fatuité trop encombrante et qui se trouve justement être le fiancé de la petite Volanges.
En 1782, lors de sa parution, « Les Liaisons » furent mises à l’index et forcloses des salons.
Il en sera fait de même avec les dessins et lettres échangés par les héros du film parce qu’elles choquent et dérangent la convenue bienséance d’une époque confite en confucianisme
Non nova sed nove disaient déjà les Anciens en parlant d’artistes qui n’apportent rien de nouveau mais qui présentent des idées déjà connues d’une manière nouvelle.
Et c’est bien là l’habilité de Lee J-Yong.
Même si plusieurs metteurs en scène se sont intéressés à ces « Liaisons (sur un mode bourgeois pour Vadim, plus cynique pour Frears et mondain friqué pour Josée Dayan) la facture et le rythme sur lesquels se décline « Untold Scandal » sont très personnels.
Somptuosité chromatique pivotant autour d’un axe blanc/rouge se répondant tantôt avec retenue tantôt avec passion, déclinaison vibrante des saisons – je ne connais ce lyrisme de
la célébration de la nature que dans certains films russes de Dovjenko - mise en valeur des
costumes et des maquillages, tout cet esthétisme, même s’il est parfois un peu hiératique n’encombre pas le film mais le nimbe de beauté intemporelle.
La caméra ne lèche pas les paysages, elle les laque, les enlumine d’une sérénité bien éloignée de la violence des passions qui agitent les cœurs et les corps.
Depuis Musset chacun sait que l’amour n’est pas un sentiment avec lequel on badine mais
avec lequel il est malaisé de vivre en simplicité.
Les héros de Laclos comme ceux de J-Yong imaginent qu’une relation amoureuse peut se programmer comme un combat stratégique comprenant encerclement de la victime, assaut et enfin reddition.
Ils oublient que l’amour est une grâce imprévue à laquelle on n’échappe pas et qui peut faire souffrir jusqu’à en mourir.
Chez J-Yong cet oubli se coule dans le rouge, le rouge de l’écharpe offerte par Cho à Hee-Hyong, le rouge du sang de son dépucelage (traité comme un vulgaire trophée), le rouge
qui s‘étale sur la chemise blanche du héros lorsqu’il est mortellement blessé.
La dernière image est saisissante, même si depuis Kim-Ki Duk (**) le rapport du corps à l’eau gelée nous est familier, le happement suicidaire de Hee-Hyong par une couche de neige qui cède sous son poids étreint par son inéluctabilité attendue.
Vous l’aurez compris, le réalisateur rend au cinéma sa dimension première : un film çà ne se raconte pas çà se voit.
(*) dans le majestueux « Spring, summer, fall, winter and…spring »