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YVES SAINT LAURENT-PIERRE BERGE : L’AMOUR FOU

Pierre Thoretton (France 2010)

Loulou de la Falaise, Catherine Deneuve, Jack Lang, Albert Frère ...

98 min.
22 septembre 2010
YVES SAINT LAURENT-PIERRE BERGE : L'AMOUR FOU

Beautiful people. Unhappy people. Contraste et paradoxe que Pierre Berger en voix off va posément, comptablement (il ne nous laisse jamais oublier qu’il est un décideur) déplier dans le documentaire élégant du photographe et plasticien Pierre Thoretton.

Documentaire étrange. A la fois impudique, bavard, narcissique, complaisant, il agace et bizarrement pour ces mêmes raisons il émeut.

Parce qu’il combine deux difficultés, deux tristesses, deux incapacités. Celle de vivre sans être porté par la drogue ou l’alcool pour YSL. Celle de survivre sans l’être aimé pour Pierre Bergé.

Est-ce parce qu’ils ne sont pas fréquents que les couples homosexuels de légende (*) ou de « singularité » (**) ont une place de choix dans nos fantasmes ?

Où est-ce parce qu’ils sont porteurs d’une force attractive de sentiments, d’ excès, d’ angoisses dont on sait qu’ils seront, en bout de course, destructeurs ? Satisfaisant ainsi la pulsion mortifère qui gît en la plupart des spectateurs.

 

Il y a du Musset dans YSL - Le Musset malheureux des « Confessions d’un enfant du siècle ». Tout comme il y a du Fitzgerald – le Fitzgerald dépressif de « La fêlure ».

Le regard de Bergé - car ne nous berçons pas d’illusion c’est lui (***) qui est aux commandes conceptuelles du film de Thoretton nourri de son choix d’archives, de confessions et d’interviews - hagiographique compréhensif ou vachard couvre près de 50 années de relations amoureuses.

Ardentes, intenses, tourmentées. Habitées autant par les goûts communs (la beauté, l’argent, les maisons et les œuvres d’art) que par les douleurs intimes.

Douleurs sur lesquels YSL, taciturne et mélancolique, communique peu et que le film tient à courtoise distance. Comme pour éviter que leur évocation ne ternisse trop et trop fort le souvenir d’un jeune homme qui fut solaire avant de sombrer dans un crépuscule fait de nervosité, de mal-être et d’incessantes remises en question.

Et pourtant comment en vouloir à celui qui répondant au questionnaire proustien trouve que le sentiment qu’il a le plus de mal à éprouver, la joie, est celui qu’il préfère. A celui qui est la première victime de ses déchirements

Film d’amour, film de mystères - le narrateur, volontiers disert, reste étrangement discret sur la méthode de travail de celui qui disait pourtant que son métier était toute sa vie et totalement muet sur la façon dont, en si peu de temps, ils se sont enrichis. Questions qui, demeurant sans réponse, frustrent le spectateur.

 

A qui il ne reste pour s’esbaudir que des tonnes d’objets. Achetés avec passion, avec compulsion et ressentis, à la mort d’YSL, comme envahissants. Poussant Pierre Bergé à faire le choix de s’en séparer lors d’une vente publique sur laquelle on peut regretter que le documentaire s’étende un peu trop.

Alors que l’on comprend aisément la volonté de dépouillement qu’elle recouvre. Comme si elle était un sacrifice, le dernier, consenti par l’homme aimant à l’homme aimé. Une façon de faire le deuil d’un « délire » partagé..

La référence explicite à « L’amour fou » - un roman d’André Breton centré sur ces moments rares de fusion entre le cœur, l’esprit et le corps - donne au film sa tessiture particuliète, faite de retours sur le passé glorieux de celui qui, par sa perception de la mode, à resilhouetté la position de la femme dans la société machiste des années 1960, d’auto satisfaction (parfois cocasse) et de chagrin porté avec calme et élégance fatiguée. 

Pierre Bergé a pensé à tout. Pourtant il oublie une chose. Pour continuer à vivre, il faut éviter, selon une expression chère à Claude Chabrol, de laisser le mort grignoter le vivant.

Est-ce que ce film sera, après les différentes expositions-hommages, la réédition de la BD d’YSL « La vilaine Lulu », le livre « Lettres à Yves » paru chez Gallimard cette année, les multiples émissions radio et télévisées, dont l’excellent "Thé ou café" de ce 14 mars, le point d’orgue d’un désir de partager, de transmettre qui pourrait, s’il se prolongeait, perdre de sa crédibilité.

Et devenir une simple et quelque peu vulgaire volonté de « product placement » (mca)

(*) Achille et Patrocle. Benjamin Britten et Peter Pears, le premier ayant réservé au second les grands rôles de ténor de ses opéras de « Peter Grimes » en 1945 à « Mort à Venise » en 1973
(**) « Brokeback mountain » de Ang Lee, « A single man » de Tom Ford
(***) souvenons-nous qu’il s’est opposé à la diffusion du film « Célébration » d’Olivier Meyrou dont il n’avait pas le final cut