Feyyaz Duman, Halima Ilter, Daria Hachem Mohamed Gulli, Brader Musiki.
Zagros est berger au cœur du Kurdistan turc. Tandis qu’il fait paitre son troupeau dans les montagnes, son épouse, Havin, et sa fille, Rayhan restent au village. À la différence des autres membres de la communauté, ils forment un couple moderne, ce qui n’est guère au goût du clan familial, extrêmement conservateur et respectueux des traditions patriarcales. Havin est séduisante, travaille en vendant les tapis qu’elle fabrique, elle est aimée et respectée par son mari. Mais sa beauté, son attitude libre et son comportement progressiste suscitent jalousies, convoitises et commérages. Un jour, la rumeur l’accuse d’adultère, et très vite, la situation s’envenime au point de l’amener à quitter le Kurdistan avec sa fille pour trouver exil en Belgique. Convaincu de l’innocence de son épouse, acculé par son père de respecter le code d’honneur familial, Zagros décide de rejoindre femme et enfant en Belgique. Mais a-t-il fait le bon choix en partant ? Et ce, d’autant plus qu’il apprend qu’Havin ne lui a pas révélé l’entière vérité sur les raisons qui ont motivé son départ. Comment réagir face aux doutes qui, amplifiés par la pression familiale, l’assaillent et le rongent ?
Après trois courts-métrages ayant remporté un succès international1, le très prometteur cinéaste belge d’origine kurde, Sahim Omar Kalifa (lire notre interview) confirme son talent de réalisateur et de conteur d’histoires en signant un premier long-métrage aussi puissant que remarquable dont la tonalité engagée le rapproche brillamment de son compatriote, Hiner Saleem.
À mille lieues du film communautaire faisant de l’exil le sujet phare de l’intrigue, « Zagros » nous fait avant tout vivre, au féminin comme au masculin, un drame humain et amoureux de dimension universelle. Car, à s’y méprendre, ce simple berger a l’étoffe d’un héros shakespearien moderne, qui n’est pas sans rappeler Othello, personnage tragique aux prises avec une jalousie obsessionnelle et aveuglante.
Cependant, si le doute, largement renforcé par l’influence d’un patriarche magnifiquement détestable, est le catalyseur d’un dilemme amoureux cornélien, bien d’autres éléments contribuent à faire de « Zagros » un véritable objet de cinéma. À commencer par la qualité d’écriture de son scénario, l’intelligence de son intrigue, la parfaite maîtrise de sa mise en scène, et la tension du fil narratif qui, par ses fréquentes ellipses, confère au récit un rythme haletant.
La solidité du film réside également dans les forces et les vulnérabilités de tous les personnages (mêmes secondaires) qui, à travers leurs interactions et leurs conflits, donnent corps à un propos qui dépasse le cadre des passions humaines. Car, si visuellement, le protagoniste masculin occupe le devant de la scène, et si son drame intime constitue le cœur même de l’histoire, c’est aussi toute une société, avec ses codes culturels, ses tensions et ses abus, qui est mise en lumière. Une société au sein de laquelle les femmes sont loin d’être absentes et deviennent même assez ironiquement les figures emblématiques d’un authentique héroïsme. Traçant les contours de la condition féminine au Kurdistan, ses progrès comme ses revers ainsi que ses paradoxes, le film dénonce avec une subtilité subversive et une très grande sensibilité les violences dont les femmes sont les trop fréquentes victimes (agressions physiques et verbales, viols, assassinats…) ; violences pleinement légitimées et encouragées par une oppression patriarcale, qui, se dissimulant derrière le bouclier fallacieux de la morale, de l’honneur et de la vertu, ne vise qu’à museler le sexe dit faible et à le réduire au rang d’esclave. Une phallocratie tristement honteuse dont les pays du Moyen-Orient n’ont guère le monopole, comme l’a d’ailleurs souligné Sahim Omar Kalifa lors de notre interview en évoquant l’affaire Weinstein et les révélations collatérales qui s’en sont suivies.
En conclusion, avec « Home » de Fien Troch et « Insyriated » de Philippe van Leeuw, « Zagros » fait incontestablement partie du trio de tête des meilleurs films belges de l’année !
Christie Huysmans
1 Sélectionné par les Oscars pour ses deux derniers courts-métrages, Sahim Omar Kalifa a réalisé consécutivement « Land of the Heroes »(2011) qui obtenu, entre autres, le prix du meilleur court-métrage à Berlin, Baghdad Messi (2012) et « Bad Hunter » (2013) qui abordait la problématique du viol.