C’est chez elle, dans un sympathique rez-de-chaussée à Saint-Gilles que Catherine Salée a reçu CinéFemme.
Cette jeune actrice nous a accordé un long entretien de plus d’une heure empreint de cordialité et de bonne humeur.
CF : La première fois où je vous ai vue à l’écran c’était dans un court métrage de Delphine Noels « Tu dors ? ». Vous m’avez épatée parce que j’ai eu l’impression que ce que vous ressentiez ne s’arrêtait pas à vous mais transperçait l’écran.
Pouvez-vous me dire comment vous abordez votre métier d’actrice ?
CS :Je l’aborde avec amour. J’aime jouer et j’ai un plaisir énorme à me jouer de moi-même.
Ce qui m’intéresse c’est de travailler avec des choses de moi-même que je connais, un peu comme si j’étais mon propre matériau.
Ma chance a été de tomber sur deux réalisateurs (Delphine Noels et Joachim Lafosse) qui partagent, chacun avec leur part de féminité et de masculinité, la même façon de voir les choses.
En quoi est-il agréable d’apprendre son métier avec des cinéastes qui apprennent le leur ?
Parce qu’il y a dans ces rencontres une énergie particulière, et une forme d’innocence qui donnent de l’audace et procurent en même temps la détente dont a besoin un acteur débutant qui ne sait pas comment être par rapport à la caméra. Ce n’est que depuis peu que les écoles de cinéma développent des ateliers pour initier au « comment être face à la caméra ».
En plus leur approche du cinéma est sensiblement la même : ils sont tous les deux intéressés par les rapports entre les hommes et les femmes, entre les gens d’une même famille. Ils partagent tous les deux la même passion pour John Cassavetes.
La notion de couple semble importante dans votre filmographie (*) ?
Pas uniquement dans ma filmographie. Je suis aussi actrice de théâtre et dans mes spectacles j’aime aborder le thème du couple et de ses problématiques relationnelles. J’ai conçu un spectacle en grande partie autobiographique « Une plume et une plume »….
Pour lequel vous avez été nominée pour « le meilleur seul en scène » en 2004…
Effectivement. Ce spectacle a été écrit par J.M Piemme et mis en scène par Isabelle Pousseur
et il parle de mon enfance en Afrique et de la mort de ma mère.
Je ne fais pas de psychothérapie sur scène ou à l’écran mais j’aime aller très loin dans la perte de moi-même, j’adore être dans tous mes états.
Je viens de terminer un film dans lequel je suis une gentille maman, très calme et à l’écoute, pas du tout dans l’hystérie et les crises et je me suis rendue compte que ça me manquait de ne pas avoir de scènes extrêmes parce que j’adore ça. (rire)
Vous êtes très crédible en hystérique. Vous me faites penser à l’héroine de Woody Allen dans son film « Melinda et Melinda » dont les hommes tombent éperdument amoureux parce qu’ « elle brandit avec conviction sa névrose à bout de bras ».
Ne craignez vous pas de vous noyer dans ces scènes limites, arrivez-vous à maintenir un équilibre entre la distance et la nécessité de proximité ?
Ce que je fais au cinéma n’est pas ce que je suis dans la vie. Je suis plutôt pudique, même physiquement et pourtant les états limites au cinéma ne me dérangent pas.
Quoique, dans « Une clé pour deux » il y a une scène où je remonte un escalier en nu frontal, qui m’a causé problème et que j’ai mis du temps à assumer. J’ai déjà au théâtre joué des scènes de nudité mais le théâtre c’est le domaine de l’éphémère. Les choses ne restent pas.
Le fait d’avoir eu l’an dernier à Paris, le prix d’interprétation féminine pour ce film, lors du festival « Le court en dit long » m’a rassérénée car j’ai senti que cette scène, parce qu’elle était juste, n’était pas perçue comme impudique.
Vous semblez avoir avec vos metteurs en scène une relation particulièrement proche et qui tient dans la durée ? Est-ce que cette proximité vous aide à mieux jouer ?
Il est certain que cette proximité - je connais Delphine Noels depuis mes 11 ans - donne à la relation quelque chose d’unique.
… Vous avez fait vos études ensemble ?
Pas du tout, je l’ai rencontrée dans le bus. Quand j’ai eu terminé mes études d’art dramatique au Conservatoire de Liège, je suis venue à Bruxelles grâce à Delphine qui y était pour suivre, après ses études à l’Académie de Liège, des cours à l’INSAS.
Pour en revenir à cette notion de proximité avec certains de vos metteurs en scène …
Oui elle est importante parce que si le résultat du court « Une clé pour deux » me satisfait c’est parce que ce film est l’aboutissement d’un travail commun qui s’étale sur 10 ans . Je n’aurais pas été capable de le faire avec quelqu’un en qui je n’avais pas entièrement confiance.
Dephine a été à l’écoute de mon questionnement à propos de la scène de nudité évoquée tantôt et elle m’a permis d’y réfléchir.
Comment aimez-vous jouer ?
J’aime jouer avec mes partenaires de jeu. Ne pas être à côté d’eux mais vraiment avec eux.
Si on joue tout seul, sans être avec son partenaire, il ne peut rien se passer. On fait un numéro d’acteur, voire une performance mais on ne joue pas vraiment.
J’aime aussi aller chercher en moi des matériaux qui me soient propres. Je peux surtout, comme je vous le disais en début d’entretien, jouer avec ce que je connais.
Est-ce que jouer est une technique ?
C’est d’abord un métier. Ce que montre très clairement le film « Ca rend heureux ». Mais c’est aussi une technique qu’il faut pouvoir oublier quand on joue.
Etre actrice c’est emmagasiner, dans la vie de tous les jours, des sentiments, des impressions. Ainsi quand il m’arrive quelque chose de fort dans la vie, la première chose à laquelle je pense c’est « Qu’est-ce que tu ressens ? Ecoute et retiens ça pourra te servir ».
C’est intéressant ce que vous dites. J’ai interrogé Joachim Lafosse sur son métier de cinéaste et il m’a dit qu’il se sentait parfois comme un « dérobeur d’idées et de sentiments » . Vous, en tant qu’actrice, vous vous voyez plutôt comme une « stockeuse d’impressions » ?
Ce qui prouve que jouer n’est pas réaliser. Mais c’est aussi une façon de me protéger en étant dans la reconnaissance de ce que je connais plutôt que dans la découverte sur le terrain de ce que je n’ai pas encore ressenti.
Comment aimez-vous être dirigée ?
Avec les réalisateurs j’aime quand ils vont au bout de leurs idées, quand ils savent où ils veulent aller. J’aime que les cinéastes expliquent pourquoi obtenir de vous telle scène est important. J’ai alors l’impression quand je joue de ne pas avoir été forcée à le faire mais reconnue comme capable de le faire.
Mais tout cela est assez paradoxal parce que j’aime aussi que toutes les choses ne soient pas dites, qu’elle restent tacites.
D’après Delphine il ne faut pas être gentil avec moi (rires) lors d’un tournage. Parce que si l’on me dit je suis bien dans une scène, j’ai tendance à m’y installer.
Dans « Ca rend heureux » vous jouez le rôle de l’ex-compagne du personnage principal, Fabrizio Rongione, l’alter ego fictif du réalisateur Lafosse.
Le propos de ce film, pour faire court, est de montrer que faire du cinéma est un vrai métier – il ne s’improvise pas – et que l’esprit qui y préside est un esprit d’équipe.
Effectivement mais aussi ce film montre qu’un réalisateur est la tête d’une équipe. Que c’est à lui de prendre les décisions finales, d’opérer un choix parmi les suggestions qui lui sont faites.
Il est un élément de l’équipe mais un élément plus capital qu’un autre.
A un moment donné, vous vous en souvenez peut-être, Fabrizio rappelle qu’il n’existe pas de films bons ou mauvais, faciles ou difficiles mais qu’il n’existe que des films justes ou pas.
Je suis tout à fait d’accord avec cette opinion.
Pour obtenir cette justesse, Joachim travaille côte à côte avec l’acteur. Il aime s’entourer de gens qui proposent des choses. A lui ensuite de faire le tri parmi ce qui lui a été présenté.
De cette façon il obtient des acteurs un jeu non pas normatif mais participatif où l’acteur est bon parce qu’il joue ce qu’il est.
Delphine, elle, privilégie plutôt, à partir d’un scénario de son cru, les improvisations dont elle fait des montages desquels sortira par la suite le scénario final. Elle aime être, non pas seulement à côté, mais près de l’acteur. Ce qui parfois peut être étouffant mais en même temps cette proximité crée une espèce d’osmose éprouvante mais magique.
Delphine, plus que Joachim, entretient avec l’image un rapport de peintre. On sent qu’elle est venue au cinéma après la peinture. Sa façon de mettre en scène est plus fragmentée, quoique depuis que son désir de devenir cinéaste s’affirme de plus en plus, elle a tendance à moins voir les choses de façon picturale.
Est-ce qu’il y a une différence entre jouer au cinéma et jouer au théâtre ?
Oui et cette différence est due à la conscience au théâtre de la présence du public. Ce qui fait que mon jeu est beaucoup plus dans l’offrande, le partage au théâtre.
Au cinéma j’aime être sur un plateau de tournage, même attendre ne me dérange pas. J’aime le travail d’équipe et je trouve que « Ca rend heureux » rend de façon magnifique toute cette ambiance particulière à la fois électrique et chaleureuse.
Vous avez vécu avec Joachim Lafosse la réalité de la situation que vous jouez dans « Ca rend heureux » à savoir être l’ex-compagne du réalisateur ? Est-ce que cette nterprétation a apporté chose quelque chose à votre relation ?
Oui, elle m’a permis de comprendre que Joachim estimait mon travail d’actrice. Ce qu’il ne m’avait jamais dit lorsque nous bossions sur « Folie privée » alors que nous vivions à cette époque ensemble.
J’ai vraiment envie de continuer à travailler avec lui alors que nous savons tous les deux que, plus il sera reconnu, plus il aura de la peine à m’imposer à la production parce que mon nom n’est pas très connu.
Vous avez tourné avec Costa-Gavras dans « Le couperet »
C’était une toute petite scène que j’ai tourné à Liège avec Olivier Gourmet un peu par hasard parce que l’actrice prévue pour ce rôle était indisponible.
J’ai beaucoup aimé tourner avec ces deux grands messieurs du cinéma. Olivier Gourmet je le connaissais un peu parce qu’il était membre du jury devant lequel j’ai passé mes examens de fin d’études au Conservatoire.
Costa Gavras est quelqu’un de très respectueux, je n’avais pas grand-chose à faire mais il m’a dirigée avec la même attention et la même écoute que celles qu’il portait à Karin Viard et José Garcia.
Vous avez aussi une expérience des arts de la rue
Effectivement j’ai vécu en colocation avec une chouette comédienne Stéphane Bisseau. J’ai crée avec elle un spectacle vaguement inspiré de Barbarella, mais en plus rigolo, « Space Girls » l’histoire de deux filles de l’espace confrontées à la trivialité de la vie quotidienne.
J’ai aussi participé à l’aventure du « Clash Théâtre » où l’on invitait des tas d’artistes, je pense à Bouli Lanners, Stefan Liberski, Serge Larivière pour des prestations d’un soir.
On travaillait comme des dingues pour des clopinettes. Mais j’ai gardé un très bon souvenir de ces années de vaches maigres.
Quelles sont vos préférences cinématographiques ?
A part Cassavetes, j’aime beaucoup le mystère angoissant qui se dégage des films de David Lynch et la beauté des réalisations de Jim Jarmush. Nicole Kidman, dans « The others » me touche beaucoup parce son jeu permet à chacun de projeter ses propres peurs sur ce qu’il voit
(ou ne voit pas )à l’écran.
Quels sont vos projets ?
Je vais commencer à travailler sur un spectacle avec Véronique Dumont et Isabelle Pousseur (***)dont les premières représentations auront lieu en décembre.
J’ai aussi des projets avec Joachim Lafosse dont il est encore un peu prématuré de parler.
Un souhait ?
Qu’il y ait suffisamment de spectateurs à partir du 27 septembre au cinéma Vendôme pour la sortie de « Ca rend heureux ». De façon à contrer l’impitoyable loi du marché qui veut qu’un film qui ne rencontre pas son public la première semaine de sa distribution soit retiré de l’affiche.
Suggestion de CinéFemme : courez voir ce film. Il vaut vraiment le déplacement.
(*) Pour la filmographie de Catherine Salé cliquez www.carendheureux.com
(***) Isabelle Pousseur, à partir du 26 septembre, au Théâtre de la Place présentera à Liège sa vision de l’« Electre » de Sophocle