INTERVIEW DE MARTINE LOMBAERS

Réalisatrice, scénariste et coordinatrice des Rencontres Images Mentales

Comment est née l’initiative des « Rencontres Images Mentales » ?

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Il y a 30 ans, j’ai été engagée pour animer un atelier vidéo et écriture avec des patients par le Code de l’asbl L’Equipe, structure d’accueil de jour qui utilise l’art comme mode d’expression. Le but était de proposer aux personnes en souffrance psychique une activité n’étant pas strictement « occupationnelle » mais qui puisse, à un moment ou à un autre, s’exprimer en dehors de l’univers psychiatrique ou psychothérapeutique. La question s’est donc posée de savoir où et comment diffuser les films qui avaient été réalisés, sachant que certaines règles déontologiques s’imposaient. Puis, j’ai découvert en France le Festival psy de Lorquin, qui a non seulement nourri ma pratique d’animatrice mais m’a aussi amenée à découvrir un extraordinaire foisonnement de films abordant la maladie mentale, sujet auquel je me suis intéressée en tant que réalisatrice. L’asbl Psymages a alors été créée, d’abord avec l’objectif de créer un inventaire audiovisuel sur la maladie mentale (une base de données accessible à tous reprend aujourd’hui plus de 1300 titres), et ensuite de favoriser la réflexion et les débats à partir du champ audiovisuel. Le Festival Images Mentales est ainsi né en 2006, qui a été rebaptisé quelques années plus tard « Rencontres Images Mentales », car il est pour nous crucial que les projections donnent lieu à des échanges au cours desquels plusieurs regards puissent se croiser, non seulement afin de permettre une multiplicité de lectures mais aussi afin d’œuvrer à la dé-stigmatisation de la maladie mentale. Car, même si les choses évoluent, la maladie mentale demeure encore un tabou, et l’image de l’univers psychiatrique et de la folie, telle qu’elle est véhiculée dans les médias ou au cinéma, fait toujours peur, notamment dans les œuvres de fiction. La folie ou la figure du fou sont évidemment depuis tout temps du pain bénit pour le cinéma dans la mesure où pour qu’il y ait une histoire captivante, il faut qu’il se passe quelque chose d’étrange. Les aspects tortueux, torturés, complexes ou déviants de l’âme humaine sont donc abondamment exploités par le cinéma. « Joker » de Todd Phillips en est un récent exemple Mais au-delà de l’Intention artistique et des artifices propres au cinéma qui font les qualités d’une œuvre, subsiste une réalité qu’il est souvent bon de rappeler et de décrypter en s’appuyant sur un ou plusieurs regards d’experts.

D’un point de vue sémantique, les termes « folie, maladie mentale, troubles psychiques… » sont souvent connotés dans « l’inconscient collectif » mais ils revêtent une réalité émotionnelle et cognitive bien différente selon que l’on soit intimement concerné ou pas par le sujet. L’usage de ces termes mérite donc une certaine prudence à l’égard des personnes en souffrance. Prudence qui n’est pas toujours de mise dans notre langage courant ou de celui des médias, ce qui contribue probablement à la stigmatisation que nous venons d’évoquer.

En effet. Le terme « folie » a plutôt bonne presse de manière générale car on l’associe souvent à la folie amoureuse (sujet qui sera abordé dans la Toile Filante d’Olivier Lecomte cette année) ou au génie de certains artistes pour qui la folie a été génératrice d’œuvres unanimement reconnues. A contrario, des termes tels que « psychose, psychotique ou schizophrénique… » par exemple inspirent fréquemment la peur. À titre personnel, et ce depuis les tout débuts de ma pratique, j’ai toujours évité d’avoir recours aux termes que l’on utilise pour établir un diagnostic, préférant parler de personnes en souffrance psychique ou en situation d’étrangeté. Car ce qui m’intéresse, c’est avant tout d’aller chercher la personne au-delà des étiquettes. Dans le cadre de nos échanges et débats, nous utilisons d’ailleurs une multitude de mots pour brouiller les frontières communément établies et éviter un étiquetage qui non seulement, suscite souvent la crainte mais aussi risquerait de réduire un être humain à un diagnostic ou une maladie. Lorsque quelqu’un a une jambe cassée, on ne parle pas de lui comme « celui qui a une double fracture ». Pourquoi en serait-il autrement pour une personne en souffrance psychique ?

En 11 ans, votre initiative a suscité un intérêt grandissant avec une constante hausse de sa fréquentation. Comment expliquez-vous ce succès grandissant ?

Nous n’avons pas la prétention d’être un Grand Festival mais à l’exception de L’Extraodinary Film Festival (qui aborde la question du handicap, et notamment du handicap mental) nous sommes les seuls en Belgique à aborder la maladie mentale par le biais de l’audiovisuel, ce qui explique sans doute un intérêt qui va croissant, notamment de la part du grand public. Toute l’équipe qui sélectionne les films, travaille une année durant afin d’assurer la qualité de la programmation. Aucune thématique spécifique n’est définie en amont mais toutes les personnes impliquées dans la programmation (qui viennent d’horizons différents) sont avant tout animées de la même volonté : à savoir, celle de partager et de (faire) parler de films de qualité qui, de l’avis de tous, revêtent un intérêt certain et susciteront assurément les débats. À ce titre, nous mettons un point d’honneur à ce que les cinéastes de tous les films soient présents afin de répondre à notre intention de croiser différents regards comme évoqué ci-avant.

De plus, depuis la première édition, certains participants nous ont manifesté leur enthousiasme et ont largement contribué à un bouche-à-oreille favorable à l’augmentation de la fréquentation. Beaucoup sont désormais des habitués pour qui les Rencontres sont devenues un lieu de rendez-vous annuel incontournable, assimilable à une sorte de colloque dans la mesure où ils ont la possibilité d’y rencontrer des intervenants de pointe (cette année, sera entre autres présents le psychanalyste Jean Florence, fidèle parmi les fidèles depuis la première heure) mais aussi d’échanger avec d’autres personnes dans un cadre convivial.

À ce titre, je me dois de souligner l’implication inconditionnelle de la Vénerie qui s’efforce d’intégrer de manière proactive notre thématique dans son offre culturelle à travers des manifestations grand public. C’est notamment le cas du spectacle d’ouverture « Cinglée » qui nous a été recommandé par la Vénerie, il y a déjà deux ans, mais aussi à travers des activités programmées de manière récurrente par le centre culturel et qui sont déclinées dans l’esprit des RIM, telles : la Masterclass d’Olivier Lecomte sur L’Amour Fou, Le Ciné Apéro avec « Adoration » de Fabrice Du Welz le 12 février ou encore le concert commenté « Musiques et Art Brut » qui aura lieu le 11 février.

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En ce qui concerne votre programmation, celle-ci comporte un large éventail de films de différents formats et aux thématiques très variées.

Au total, ce seront une quarantaine de films qui seront projetés. Nous avons une journée entière consacrée aux films d’ateliers (le vendredi 14 février). Il s’agit de films de 10-15 minutes réalisés au sein même d’institutions psychiatriques parfois par un cinéaste professionnel, parfois par un vidéaste engagé pour l’occasion ou encore avec les moyens du bord. C’est une journée incontournable à laquelle assistent les représentants des institutions concernées ainsi que les patients, et c’est vraiment formidable ! Ces films faisant majoritairement l’objet d’une diffusion restreinte compte tenu des raisons éthiques déjà évoquées, les RIM constituent souvent le seul espace où ils seront partagés.

Côté fiction, à côté d’« Adoration » sera également projeté en avant-première « La Forêt de mon père », magnifique film de Vero Cratzborn, qui est extrêmement touchant par la sincérité de son propos. Sincérité qui tient au fait que la réalisatrice s’est inspirée de son vécu personnel, et l’on pourrait même d’ailleurs dire que ce film est quasi devenu pour elle une manière de se présenter au monde. Vero sera présente, et nous aurons également la chance d’avoir comme invitées Frédérique Van Leuven et Cathy Caulier qui ont co-écrit le très éclairant livre « Grandir avec des parents en souffrance psychique », sujet qu’elles connaissent parfaitement bien puisqu’elles ont initié l’ouverture d’un espace spécifique au centre psychiatrique Saint-Bernard à Manage destiné à accompagner des enfants qui subissent les conséquences d’un parent souffrant de troubles psychiatriques ou psychiques.

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En matière de documentaires, le panel est extrêmement large. « Quelle folie » de Diego Covernatory, film qui est sorti en salle en France et a récolté des critiques dithyrambiques, sera projeté le 13 février à 20H00. Le protagoniste du documentaire, Aurélien Deschamps sera d’ailleurs des nôtres. Personnellement, j’ai été littéralement scotchée par ce film quasiment construit comme une fiction qui suit Aurélien, atteint du syndrome autistique d’Asperger, lequel s’interroge sur la manière dont son cerveau lui donne accès au langage. C’est à découvrir absolument !

Le cinéaste Rodolphe Viémont que nous avons déjà invité lors d’une précédente édition pour « Humeur liquide » sera également présent avec son nouveau documentaire « Pour Ernestine ». Réalisateur atteint de troubles bipolaires, il nous livre avec une authenticité marquante le bouleversement que la naissance de sa fille a opéré en lui, sur sa maladie, qui, si elle est souffrance, constitue aussi le terreau de sa créativité artistique. Ce film est absolument remarquable non seulement par la multitude de réflexions qu’il suscite mais aussi par le double regard qu’il pose sur la bipolarité : celui d’un cinéaste interrogeant la maladie mais aussi simultanément celui d’un artiste observant les effets ambivalents de sa maladie et de ses traitements sur sa fécondité artistique. Enfin, je relèverais aussi « Déni de grossesse, à mon corps défendant » de Marion Vaqué-Marti, qui aborde un sujet à la fois tabou et encore très méconnu.

(Propos recueillis par Christie Huysmans)

Consultez le programme complet sur www.psymages.be/imagesmentales