Rencontre avec la talentueuse Naomi Ackie incarnant Anna, dans le film de William Oldroyd « Lady Macbeth », lors de son passage à Bruxelles.
Contrastant avec son rôle austère, Naomi est une jeune femme qui explose de joie de vivre.
Interview en anglais et traduction par Luz
Bruxelles, 11 avril 2017
Bonjour Naomi, pourrais-tu te présenter et me dire ce qui t’as amenée à devenir actrice ?
Naomi Ackie : J’ai 25 ans, je viens de Londres et je suis devenue actrice, professionnellement parlant, il y a cinq ans. Mais c’est un rêve d’enfant et j’ai commencé à faire du théâtre à l’école quand j’avais 11 ans. Du coup, cela fait déjà plus de 10 ans !
Ceci est mon premier film. Avant cela, j’avais fait deux shows pour la télévision, des petits rôles, et là, c’est le hasard qui m’a amenée là. C’était une surprise pour moi d’avoir ce rôle.
Je viens du théâtre, j’ai fait une école d’art dramatique à Londres, donc je suis comme un bébé dans le monde du cinéma !
Le personnage que tu interprètes, Anna, est sans doute le plus raisonnable et le plus sage du film. Qu’en penses-tu ?
Naomi Ackie : Je pense qu’elle incarne la vision du spectateur, celle qui dit « Que diable se passe-t-il ici ? Tout ça est malsain. » Son personnage souligne ce qui se passe, mais reste en dehors, au-delà. Elle est une femme de couleur dans un monde au service de la culture blanche. C’était dur car il s’agissait de raconter une histoire mais aussi d’en faire le commentaire, une certaine conscience qui parle.
En effet, même dans la partie muette.
Naomi Ackie : Oui, tout à fait. L’absence de voix, le fait d’être désemparée et de se sentir invisible, je crois que beaucoup de femmes peuvent comprendre et ressentir ça. Lorsqu’elle (Anna) ne parle plus, c’est encore plus fort et sa décision à la fin – que je ne vais pas spoiler – est son unique pouvoir.
C’est un film sur le pouvoir des femmes …
Naomi Ackie : Oui, sur un pouvoir porté à l’extrême ainsi qu’un manque de pouvoir. Il y a trois femmes dans l’histoire, qui ne sont pas dirigées par des hommes. Elles construisent l’histoire. C’est ce qui rend la dynamique entre Anna et Katherine intéressante.
Est-ce que c’était choquant de jouer la servante, qui, au début du moins, paraît même heureuse de servir sa maîtresse ?
Naomi Ackie : En effet, elles auraient pu être amies, car, à la base, elles viennent du même endroit ; elles ont été vendues à un ménage, elles ont le même âge et la seule différence est la couleur de la peau et le fait que Katherine est l’épouse, là où Anna est la domestique. Ce potentiel d’amitié se démantèle lentement, selon les choix de Katherine, qui conduit le récit, et fait de Anna une victime. Néanmoins, elles sont toutes les deux piégées dans la maison.
Est-ce que certaines scènes ont été particulièrement dures à jouer ? Je pense à la scène où tout va basculer.
Naomi Ackie : Contrairement à Anna, je suis une personne qui s’exprime ; j’ai une voix et je l’utilise même lorsque je n’y suis pas invitée !
Dans les scènes les plus difficiles, c’était dur pour moi de me soumettre à quelqu’un d’autre, cela me déprimait, même si je savais bien que c’était de la fiction. Dans certaines scènes, Anna est humiliée, avilie et dégradée. Je pense que cela fait partie de mon histoire ; ça s’est passé et ça se passe toujours pour des femmes dans le monde entier. C’est ça qui est vraiment dur. C’est véridique. Je ne me suis pas dit « pauvre moi ». Je l’ai vécu comme une sorte d’investigation, d’un élément qui fait partie de moi et que je voulais étudier. Connaître ma place et mon identité dans la société. C’était une joie absolue de le faire, car la souffrance n’est pas toujours mauvaise, elle peut aider à comprendre et à apprendre des choses.
D’ailleurs, ce n’est pas commun de voir un personnage comme Anna dans un film d’époque, une personne de couleur qui prend réellement part dans l’histoire et qui existe à part entière. Interpréter ce rôle était un réel privilège.
Qu’en est-il des hommes dans ce film ? Sont-ils faibles ?
Naomi Ackie : Lorsque j’ai lu le scénario, je me suis dit, qu’ils avaient retourné les rôles des femmes et des hommes. Sebastian, par exemple, devient l’objet sexuel de Katherine, la chose qu’elle utilise afin d’assouvir son désir sexuel ainsi que son désir de pouvoir. Les hommes représentent différentes choses. Boris incarne la cruauté de l’homme. Alexander néglige la femme. Ils sont de fabuleux outils pour conduire l’histoire. Je pense qu’il s’agit d’un film féministe où les hommes sont utilisés afin de mieux appréhender l’incroyable complexité du personnage. Ils font partie de la complexité des femmes qui prennent des graves décisions ; des choix de vie et de mort.
Un film féministe où l’on n’a pas envie d’appartenir à ce genre de femme…
Naomi Ackie : Non, mais je pense que c’est féministe, car on cherche à comprendre, sans nécessairement montrer uniquement les beaux côtés de la femme. On explore les côtés obscurs, les décisions dures qu’une femme peut prendre et il y a une réelle reconnaissance du fait qu’une femme aussi peut faire des choix horribles.
Généralement, dans les films d’époque classiques, il s’agit toujours d’histoires d’amour avec des femmes belles et faibles qui restent à l’intérieur pour prendre le thé et discuter … du Prince Harry ou que sais-je !
Alors qu’en réalité, il y en a des mauvaises qui traînent dehors, et c’est très bien, car cela signifie qu’il y a une variété de femmes. Cela nous rend réelles.
« We can be bitches too ! »
Tout ça peut exister dans une femme, dans un être. C’est intéressant, car Katherine nous offre les côté obscurs, elle n’est pas sympathique, mais plutôt terrifiante. C’est un être humain entier : nous avons tous des bons et des mauvais côtés.
Le choix de l’histoire est exquis.
Comment c’est passé le travail avec William Oldroyd ?
Naomi Ackie : Will, c’était super. Je n’ai eu qu’une seule audition, ce qui est inattendu pour moi et je l’ai rencontré ; c’est un mec cool. Il a fait beaucoup de théâtre, c’est ce qui a marché entre nous, car je fais du théâtre aussi et cela nous a permis d’être connectés. Les répétitions étaient très efficaces. Je comprenais ce qu’il voulait. Cela m’a plu de le voir s’épanouir en tant que réalisateur, car il s’agit de son premier long-métrage. C’était un peu le premier film pour la plupart d’entre nous. C’était difficile aussi, on avait peu de temps et un tout petit budget, mais on l’a fait et c’est ça le mieux, quand on a ce genre de restrictions, on essaye vraiment de faire du mieux qu’on peut faire.
Un petit mot pour la fin ?
Naomi Ackie : Allez voir le film ! Profitez et discutez-en.