Une femme sans fin s’enfuit est le titre du beau livre d’Aurore Clément écrit avec Mathieu Terence et photographié par Peter Wyss en 15 minutes un matin de 1972 dans son petit appartement, le salon de maquillage de Mistinguett, sur la terrasse du Moulin Rouge à Pigalle, et qui résumera au fond, aussi bien alors qu’aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire, la vie d’Aurore Clément.
Aurore Clément nait à Soissons en 1945 d’un père petit agriculteur et d’une mère couturière et infirme. Sa jeunesse se déroule dans ce pays du Nord Est de la France, détruit par la guerre, et se remettant difficilement de cette tragédie mondiale.
Le quotidien passe entre les travaux des champs et le petit atelier de sa tante, elle aussi couturière. Elle y apprend l’humilité, le courage, et surtout, le travail de la couture. Elle perd son père à l’âge de 17 ans, et va travailler à l’usine pour subvenir aux besoins sa famille. Mais sa plus jeune soeur meurt trois ans plus tard, et sa mère quelques années après. Elle se retrouve alors seule, quitte l’usine, et trouve le courage de tout quitter pour partir vivre avec peu de moyens et beaucoup d’efforts à Paris.
Là-bas, à force de travail et de persévérance, elle devient l’un des grands top models des années 1970. Elle pose pour des couvertures de magazine dans le monde entier, du Vogue anglais au Vogue italien, en passant par le magazine Elle en France, devant l’objectif des plus grands photographes : David Bailey, Richard Avedon, Peter Lindberg. Vient ensuite la rencontre avec Louis Malle, qui va changer sa vie. Elle qui désirait devenir comédienne va se retrouver propulsée dans le monde du cinéma, et part à New York, où elle rencontre les plus grands cinéastes.
Elle pose ensuite ses valises en Italie quand Mario Monicelli la supplie de quitter l’Amérique pour venir à Rome tourner dans Caro Michele, où elle rencontre Delphine Seyrig, qui deviendra son amie. En y fait quelques rencontres fondamentales, comme Elio Petri, qu’elle admirera toute sa vie, et accompagnera jusqu’à son dernier film, Les Bonnes Nouvelles. Lors de cette escapade italienne, elle tourne également avec Dino Risi, Juliano Montaldo ou Mauro Bolognini, avant de retourner aux Etats-Unis, cette fois-ci à Los Angeles, pour y faire sa vie. Elle y fait la rencontre de Francis Ford Coppola, qui lui propose de s’envoler vers les Philippines pour jouer dans Apocalypse Now. Suivra ensuite une autre aventure, Paris, Texas, avec Wim Wenders, qu’elle affectionne particulièrement.
C’est en 1978 qu’elle entame avec Chantal Akerman une relation cinématographique comme on déploie une relation épistolaire. Dans Les Rendez-vous d’Anna, elle incarne le rôle-titre, une cinéaste qui parcourt l’Europe pour présenter son film. Au coeur de son errance, comme Aurore elle-même, Anna, blottie dans les alcôves improvisées de chambres d’hôtels impersonnelles, pendue au bout du fil pour tenter désespérément de garder le contact, on s’interroge : que recherche-t-elle ? Que fuit-elle ? D’où vient cette ultra-moderne solitude ? Elle devient alors une sorte d’alter égo de pellicule pour la cinéaste belge, qu’elle retrouvera six reprises sur grand écran. Aurore Clément dira d’ailleurs : « Anna c’est moi, c’est nous tous, c’est nous toutes. »
Dans Toute une nuit elle est l’une des âmes qui hantent cette chaude nuit d’été bruxelloise, l’un de ces des corps qui se frôlent, s’embrassent ou s’évitent, héroïne de ce ballet nocturne.
Aurore Clément n’est pas que des fictions de la réalisatrice, elle est aussi de ses expérimentations. Ainsi participe-t-elle à Lettre d’une cinéaste, autoportrait ludique sous forme de missive filmée qui raconte la journée d’une réalisatrice, avec le renfort de son actrice. Les Années 80 offrent une sorte de carnet préparatoire à Golden Eighties, la comédie musicale que Chantal Akerman tournera quelques mois plus tard. Cette amitié de pellicule hors norme trouve un prolongement sur scène, quand la comédienne lit à Bruxelles et partout en France, plus récemment au Mémorial de la Shoah, le puissant récit autobiographique de Chantal Akerman, Une famille à Bruxelles.
La liste des nombreux cinéastes qui l’ont invitée à faire partie de leurs films est longue, Bertrand Bonello, François Ozon, Mathieu Amalric, Serge Gainsbourg, Laetitia Masson, Sofia Coppola, Anne-Marie Miéville. Au théâtre, elle joue sous la direction de Simone Benmussa, Isabelle Nanty. Robert Kuperberg. Autant de noms qui la font rêver, encore et toujours, comme Une femme sans fin s’enfuit, éternellement.
Pour Aurore Clément, TOUT est travail.
« C’est l’amour, l’amour du théâtre qui nous fait vivre, nous les petits enfants comédiens, il faut recommencer sans cesse, jouer, jouer, ça prend toute la vie pour apprendre, regarder, écouter. On n’en finit pas d’y revenir, c’est privé, c’est quelque chose de mystérieux, on ne peut pas faire autrement. Il ne faut pas penser à sa carrière, il faut jouer, on tomber, et on se relève, on y va ! »
Comme le disait Chantal Akerman, son amie pour l’éternité : « Quand on veut faire du cinéma, il faut se lever, alors levons-nous. »
C’est un honneur, une joie et une fierté pour l’Académie André Delvaux de remettre le 9 mars prochain un Magritte d’honneur à Aurore Clément. Elle succède ainsi à Agnès Jaoui, Marion Hänsel, Monica Belluci, Raoul Servais, Sandrine Bonnaire, André Dussollier, Vincent Lindon, Pierre Richard, Emir Kusturica, Costa-Gavras, Nathalie Baye et André Delvaux.