Documentaire
4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s)

Coup de coeurPINA

Wim wenders (Allemagne/France 2011)

Une partie de la troupe du "Tanztheater" de Wuppertal.

4 mai 2011
PINA

« Danser c’est altérer le vide » - Jeanne Benameur in « Laver les ombres » (*)

C’est griffer l’air et faire de cet élément immatériel la ruche dans laquelle des danseurs viendront déposer leurs envies de rendre palpables les indications - le mot instruction est trop connecté à celui d’autorité - données par une chorégraphe qui depuis toujours a voulu saisir la sensualité envoûtante du mouvement au travers de corps jetés autant que mus par l’espace.

Devant la beauté étrange et audacieuse des spectacles de Pina Bausch tissés tant autour de la surprise, de la jouissance que du désespoir d’être ;

Devant l’excellence de danseurs soucieux d’évoquer avec douceur et bonheur celle avec laquelle ils ont tant aimé travailler ;

Devant le talent d’ un cinéaste manifestement amoureux (au sens platonicien de l’expression) de son sujet ;

 

Comment lever les mots qui rendront, sans lui enlever de sa fascinante puissance, hommage à la fois à "La Dame de Wuppertal" (morte peu de temps avant le tournage) et à ceux qui en perpétuent aujourd’hui la mémoire.

Le silence pourrait être une réponse.

Comme celui qui vous saisit lorsque vous entrez dans un lieu saint ou lorsqu’un poème inspiré vous laisse sans voix, l’émotion à fleur de coeur et de paupières.

Face à « Pina », des sensations déchirantes et sauvages vous envahissent avant de vous laisser, apaisé et heureux, en bordure d’une scène à laquelle la 3D donne un relief particulier.

Donnant l’illusion de pouvoir, si on l’accepte, se laisser imprégner ( caresser ?) par les corps des danseurs.

 

Devenus matières vivantes , souples et charnelles acceptant d’être pour la chorégraphe ce que sont les pinceaux et couleurs pour les peintres.

Matières mobiles, peu verbales que Pina savait aimer et animer pour insuffler aux membres de son équipe un élan libérant les dons de chacun et tirant de leurs singularités de quoi nourrir l’âme collective d’une troupe connue pour son exigence esthétique, ses audaces transgressives et sa farouche indépendance.

 

« Pina « est une plus qu’une récréation. Qu’une trêve dans un monde qui s’alourdit chaque jour de nouvelles angoissantes et sinistres.

C’est un moment de bonheur et de plénitude qui ouvre le spectateur à la richesse d’un monde intérieur. De son monde intérieur lorsqu’il tisse avec l’autre des liens de désir et de vulnérabilité, de doute et de recherche de sens.

Monde accessible par la grâce combinée d’artistes généreux, talentueux qui rendent à la magie sa capacité d’exprimer la face énigmatique de la réalité.

Il n’est pas nécessaire, même si cela peut être intéressant, de se plonger dans la pléthore d’entretiens (**) donnés par un cinéaste, plus « homo loquens » que jamais, à l’occasion de la sortie de son film.

Mais il peut être stimulant de voir ou revoir la série de documentaires qu’il a consacrés à des artistes affectionés [Yasujiro Ozu, Nicholas Ray, Ibrahim Ferrer, … (***)] parce qu’on y trouve le secret d’un cinéma réussi.

Pétri par l’amour et la curiosité des autres, la joie d’apprécier et la conscience que des gens ou des spectacles peuvent donner, à celui qui a le cœur vaste, le sentiment de pouvoir « tenir l’infini dans le creux de la main et l’éternité dans une heure » (William Blake)

 

"Pina" a remporté le Lola (l’équivalent allemand du César) du meilleur documentaire 2011.

 

Il y a toujours la possibilité de prolonger le plaisir visuel et sensoriel des spectacles de Pina Bausch grâce au documentaire "Tanzträume" d’Anne Linsel & Rainer Hoffmann, encore présent sur les écrans bruxellois.  

 

Le beau travail de Wim Wenders ne doit pas faire oublier celui de Chantal Akerman qui a nourri dans son documentaire "Un jour Pina m’a dit" une passionnante réflexion sur la place que tenait la politique dans les oeuvres des années 1980 de la chorégraphe.

 

Prouvant par là une fois de plus l’acuité et l’avant gardisme de ses choix. (mca)

(*) paru aux éditions Actes Sud, collection Babel
(**) s’il fallait n’en retenir qu’une ce serait celui accordé à la revue "Danser" d’avril 2011

(***) respectivement "Tokyo-ga", "Nick’s movie", "Buena Vista Social Club"