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Coup de coeurTOMBOY

Céline Sciamma (France 2011)

Zoé Héran, Malonn Lévana, Jeanne Disson, Sophie Cattani, Mathieu Demy

82 min.
11 mai 2011
TOMBOY

« Pour une alouette blessée, un chérubin cesse de chanter » - William Blake (*)

De Michaël à Laure.

Le chemin tissé aux délicats points de croix d’une enfant, plus tout à fait une fillette mais pas encore une pré-adolescente, vers une définition orbi et urbi d’elle-même.

Laure a 10 ans. Ses parents viennent de déménager. Ils forment un couple harmonieux et sont des adultes aimants, présents et structurants - qualités à souligner dans une époque qui privilégie aisément les relations dysfonctionnelles, démissionnaires ou lacunaires.

En rencontrant celle qui deviendra son amie, non seulement elle ne rectifie pas le genre par lequel celle-ci l’interpelle : « t’es nouveau ? » mais encore elle en confirme la confusion identitaire en affirmant par deux fois « Michaël, je m’appelle Michaël ».

« Tomboy » (en français le garçon manqué) réussit la prouesse d’être à la fois énigmatique, suggestif et précis. Offrant au spectateur la possibilité de se souvenir, s’il n’a pas refoulé au fond de sa poche et mis un mouchoir par-dessus pour être sûr de ne pas les réveiller, les sensations à la fois troubles et sincères qui accompagnent l’aube de la puberté.

De se souvenir de ce temps du « as if » cher à Hélène Deutsch où jouer à être, sans se soucier des conséquences basées sur ce qui est moins un mensonge qu’une exploration d’un possible offert par le hasard, conduit peu à peu à endosser une réalité qui n’est pas.

Autant pour garder une crédibilité aux yeux de l’Autre que pour aller jusqu’au bout d’une expérience dont on pressent néanmoins et avec une angoisse croissante qu’elle aura une butée temporelle.

En l’occurrence la rentrée des classes qui fera éclater la bulle de l’illusion. Bulle irisée que la cinéaste a la bonne idée d’inscrire dans la saison la plus permissive et ludique de l’année, l’été, et de refuser d’accompagner de considérations ou d’explications psychologiques.

Pour mieux rester à hauteur des enfants qu’elle filme, Céline Sciamma a utilisé, comme caméra, un appareil photo à rendu cinématographique, elle a aussi décidé de bannir de son vocabulaire de metteur en scène le castrateur « stop action » et de limiter le temps de tournage à 20 jours.

Ces paramètres de tournage définis et respectés lui permettent de capter de façon quasi épidermique la spontanéité des corps qui se montrent tels qu’ils sont ou tels que l’on voudrait qu’ils soient.

Qu’ils soient vus au travers d’un miroir ou des yeux des autres (acteurs ou spectateurs) ils le sont toujours avec un sentiment de liberté qui émeut autant qu’il fragilise car on sait que ce temps « édénique » de l’ambiguïté est compté.

Et connaîtra, lors d’une scène courte et dense de rupture, l’humiliation et la brutalité de la vérité qui, et ce n’est pas la moindre beauté du film, remettra la réalité sxeuelle en selle sans réussir à couper celle d’une véritable amitié en train de se nouer.

« Tomboy » est un regard ramassé et efficace (82 minutes), quasi silencieux (peu de dialogues et une musique d’ambiance rarissime) sur une expérience intime mais aussi une réflexion subtile et discrète sur ce qu’est le cinéma.

Une interpellation, une mise en question, une affirmation de la notion de point de vue. 

Masculin ou féminin, actif ou passif, assumé ou dénié lorsque celui du spectateur devient complice (partenaire ?) de celui du réalisateur, il transforme le processus de création en processus de révélation.

Faisant de chacun le témoin d’une émergence.

Celle du talent d’une cinéaste qui sort du cadre de la promesse induite par une première œuvre « L’année des pieuvres » (**) pour éclater au grand jour avec un film sobre (presque minimaliste) qui rappelle que l’émotion sur pellicule naît tout autant d’un récit, du jeu des acteurs (tous formidables) qui l’animent que de la façon dont il est mis en scène.

Le cinéma qui s’intéresse aux enfants n’est pas pléthorique (***).

Parmi ceux-ci ceux qui le font avec une aussi belle intelligence, une aussi juste économie de moyens et une aussi sensorielle profondeur sont encore plus rares.

Alors décidemment oui, Laure vaut de l’or. (mca)

 

(*) in "Les augures d’innocence" - éditions Parkstone

(**) dans laquelle 3 adolescentes découvraient les ambiguïtés de leurs désirs et sentiments
(***) "La vie en rose" d’Alain Berliner, "L’argent de poche" de Truffaut, "L’effrontée" de Claude Miller,"Les beaux gosses" de Lionel Duroy et Vincent Lacoste, "La guerre des boutons" d’Yves Robert, "Le gamin au vélo" des Dardenne, "Lord of the flies" de Peter Brook, "Village of the damned de Wolf Rilla, "Kes" de Ken Loach ...

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