Coup de coeur mensuel
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Coup de coeurA SEPARATION

Asghar Farhadi (Iran 2010)

Leila Hatami, Sareh Bayat, Sarina Fahradi, Shahab Hosseini, Peyman Moadi

123 min.
8 juin 2011
A SEPARATION

Ils se comptent sur les doigts des deux mains les cinéastes contemporains qui ne se contentent pas de mettre en scène.

Mais sont aussi des maîtres en scène.

Asghar Farhadi est un de ceux-là.

Ni d’action ni de sensation ou de contemplation, « A separation » est un film de réflexion.

Réflexion parce qu’il frémit d’intelligence, loin de tout envie d’expliquer ou d’illustrer un questionnement sur les couples et leur mode de fonctionnement.

Réflexion parce qu’il engage, en se basant sur un scénario construit au cordeau et sur des dialogues simples et justes, à se demander s’il y a moyen de transformer les apories en issues. De rompre le cercle des questions et réponses qui, comme dans un jeu de flipper ou un débat jésuitique, rebondissent les unes sur les autres.

Rien de superflu ou de décoratif dans cette histoire de Nader, une jeune femme iranienne qui, voyant sa requête en divorce rejetée, retourne vivre dans sa famille. Préoccupée de ne pas être suivie par sa fille qui préfère rester avec son père. A la fois par affection, tactique et souci de ne pas le laisser assumer seul les tâches de s’occuper d’un aïeul alzheimérien.

Histoire simple et pourtant emblématique qui parle de maladie, d’envie d’exil, de malentendus et de hasard. Cet inattendu qui déjoue les plans et les désirs pour mieux cerner le complexe et l’ambigu qui se nichent dans toute existence.

Farhadi avec une prudence audacieuse - pour pouvoir filmer en Iran de nos jours et Rafar Panahi (*) en connaît un bout sur la question - il faut concilier la souplesse du chat et la détermination du hérisson - se joue des préjugés que les Occidentaux ont de la société perse tout comme il joue avec une alternance de tempo entre une impression de théâtralité due à une verbalisation importante des échanges entre les personnages et une extrême mobilité de la caméra.

Qui saisit avec une impitoyable fluidité la turbulence des sentiments, la fébrilité des émotions et l’agitation propre à une vie urbaine dont l’équilibre bute constamment sur une contrainte de gestes quotidiens et répétitifs.

Dans « A separation », les femmes ne sont pas nécessairement soumises, elles peuvent être déterminées, volontaires et n’ont pas peur d’affronter le monde masculin.

Incarné ici par le fanatisme religieux, la pesante solidarité familiale ou l’autorité de la Loi.

Autorité rendue par un juge que le réalisateur a la malignité de ne jamais montrer - comme chez Kafka. A la fois pour nous faire ressentir la force de cette emprise d’en haut sur les existences de tous les jours - faut-il voir dans cette « invisibilité toute puissante » la dénonciation d’un pouvoir (politique) toujours à l’affût de la moindre transgression ?

Mais à la fois aussi pour renvoyer les personnages à la nécessité constitutive de la condition humaine de poser des choix.

Choix impossible et dès lors poignant notamment du point de vue de la fille du couple en crise qui quelle que soit sa décision – suivre l’un ou l’autre de ses parents - sera source de nouvelle souffrance.

« A separation », même s’il s’inscrit dans une lignée filmographique de grande qualité - il a de Kiarostami la touche néoréaliste et d’Antonioni la beauté des plans - possède sa musique singulière.

Structurée, depuis « La fête du feu » et « About Elly » par des comédiens épatants et une finesse psychologique qui confère au drame intime raconté une résonance universelle.

Impactant le spectateur emporté par les espoirs, mensonges et douleurs de ceux dont la vie s’effrite à l’écran.

Film dense loin du narcissisme ou de l’anecdotique (**) qui caractérise tant de films de « Scènes de la vie conjugale », film profond qui crée le chaos autant qu’il essaye d’y porter remède, « A separation » nous fait palpiter.

Osciller. Tantôt partisans de la thèse de la mère, tantôt convaincus de celle du père avant de nous laisser, dans un dernier plan fixe et lent, tétanisés et émus.

Par un visage d’adolescente sur lequel se lit une peine qui élargit autant qu’elle enserre le cœur.

« A separation » a obtenu l’Ours d’Or lors du festival de Berlin 2011. (mca)

(*) condamné à 6 ans de prison et à 20 ans d’inactivité cinématographique pour critiques portées contre le régime d’Ahmadinejab

(**) « Un couple parfait » de Suhiro Suwa ou « Divorce à l’italienne » de Vittorio de Sica