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LE SOLDAT DIEU

Koji Wakamatsu (Japon 2010)

Shinobu Terajima, Keigo Kasuya, Emi Masuda, Sabu Kawahara

87 min.
21 août 2011
LE SOLDAT DIEU

Il est aisé de cerner la force d’un film lorsqu’elle gicle de chaque plan, de chaque image, de chaque regard.

Rien n’est gratuit ou laissé au hasard dans le dernier film de Wakamatsu qui, à 74 ans démontre qu’il n’a rien perdu de sa pugnacité de vieil anar, en nous proposant une œuvre ramassée qui cogne comme une gifle.

Pour enfoncer l’aiguille où cela fait mal, le nationalisme de son pays (et d’ailleurs), pour fustiger les pulsions dominantes, pour clouer au pilori les guerres et ses mensonges héroïco-patriotiques.

Le lieutenant Kurokawa, parti combattre sans l’ombre d’un doute l’ennemi durant la guerre sino-japonaise de 1940, revient chez lui. Privé de jambes, de bras, de la parole et de l’ouïe.

Il n’est plus qu’une chenille rampante (*). Auquel l’Empereur dans sa cynique et inconsciente magnanimité accorde médailles et honneur. Celui d’être reconnu et respecté comme un soldat dieu.

Réquisitoire sans circonstances atténuantes, pamphlet brutal où les vérités sont assénées au nunchaku, dénonciation du machisme des rapports hommes/femmes, jusqu’au-boutisme sexuel, "Le soldat..." est tout cela, mais il est aussi souffrance et douleur.

 

A la fois du blessé et de son épouse qui a pour mission de l’accompagner, tiraillée entre dégoût et compassion, dans tous les gestes du quotidien y compris ceux de se soumettre aux aléas d’un désir érotique en dents de scie.

Wakamatsu ne nous épargne rien des tourments, avilissements, tortures et méchancetés de ses personnages.

De ce maelström dérangeant et choquant émerge une étrange humanité. Moins émouvante que celle qui se dégage de l’histoire de Joe Bonham (**) revenu de la première guerre mondiale, sourd, aveugle, muet et privé de toute locomotion.

Moins émouvante mais tout aussi éprouvante parce que les atrocités physiques, affectives et mentales qu’elle montre renvoient à cette partie instinctive et animale que nous préférons ne pas voir ou dénier lorsqu’elle se rappelle à notre mauvais souvenir.

On sort de la projection, sonné et dévasté par ce qu’on a vu et ce qu’on a ressenti.

Du désespoir de ces personnages qui n’ont d’autre issue pour mettre fin à leurs calvaires que de se supprimer.

Ou de s’émanciper d’un double joug, marital et sociétal, en rendant coup pour coup, horreur pour horreur.

C’est-à-dire en entrant dans un jeu que l’on répugne et dont on connaît les limites.

Décidemment la destinée humaine est terrible. Elle fait croire que vous être puissant et indispensable à la mise en ordre du Monde.

Alors qu’en fait vous n’êtes que le jouet de décisions prises par d’autres arbitraires que le vôtre. (mca)

(*) inspiré par la nouvelle de Ranpo Edogawa dont Suehiro Maruo a tiré un bien troublant maga.
(**) « Johnny got his gun » de Dalton Trumbo