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MARGIN CALL

J.C. Chandor (USA 2011)

Demi Moore, Jeremy Irons, Kevin Spacey, Paul Bettany, Zachary Quinto

109 min.
25 janvier 2012
MARGIN CALL

Il ne faut pas être économiste ou versé dans le jargon utilisé par les financiers pour comprendre qu’un mensonge et une escroquerie, quel que soit le signifiant dont on l’enrobe, reste un mensonge et une escroquerie.

Quand le cinéma se frotte à la réalité qu’apporte-t-il ? Un affadissement, une mise à plat ou une exacerbation du réel ?

Dans « Margin call » un employé découvre que les comptes de la société d’échanges boursiers pour laquelle il travaille ont été maintenus à flot par de virtuels montages dans lesquelles la valeur objective des chiffres a cédé la place à la tentation manipulatoire.

Ce qui est intéressant dans cette approche de la crise financière de 2008 c’est son traitement. A la fois efficace, dramatique et classique.

Efficace par son côté thriller fait d’une opposition tendue entre deux types d’attitudes, l’une cupide et prête à tous les extrémités incarnée par un excellent Jeremy Irons, l’autre plus humaine et soucieuse d’une certaine éthique à laquelle Kevin Spacey apporte son habituel talent.

Dramatique parce que les enjeux sont graves - licenciements massifs, spectre de faillite, perte de crédibilité à long terme, conscience d’un risque de contagion systémique à d’autres établissements.

Classique parce que les prédicats raciniens (ou cornéliens) sont respectés : les temps, lieux et actions ne sont qu’uns. Une journée, 24 heures avant le crash boursier de 2008, dans le bureau d’une grande banque d’investissement pour décider d’une solution à trouver

Ce qui maintient alerte et haletante l’attention du spectateur - comme dans le téléfilm de Curtis Hanson « Too big to fail » sur les coulisses de la chute de la banque Lehman Brothers - c’est un sentiment d’urgence, de course contre la montre à laquelle il est convié.

Convié à assister en première loge et avec le confortable sentiment de n’avoir aucune responsabilité à prendre dans les arcanes d’une tentative de sauvetage.

C’est à la fois par sa densité, sa sobriété, son cynisme (on est ici bien loin de "Wall street" d’Oliver Stone) que « Margin… » happe et invite à ouvrir les yeux sur le Monde du grand capital habitué à vendre ce qu’il sait ne pas avoir de valeur.

Un film ne va certes pas résoudre quoi que ce soit. Mais, parce qu’il est bien fait et qu’il évite non pas un certain didactisme mais une redondance de prêchi-prêcha déontologico-moralisateur, il participe avec intelligence à ce sentiment que le langage cinématographique sert à mettre des images une réflexion.

Qui remet en cause le fantasme de Keynes selon lequel puisque les déficits publics sont indolores, les sociétés occidentales sont " inéluctablement promises à la félicité économique et à la terre promise de l’abondance ". (*)

Fantasme qui fonde le biologiste Jean-Didier Vincent à se demander dans son dernier opus « Bienvenue en Transhumanie » (**) si « ce sont les flux financiers ou les hommes qu’il faut réguler » (mca)

(*) in « Perspectives économiques pour nos petits-enfants » cité par Pierre-Antoine Delhommais dans son article « Vous aviez tort, monsieur Keynes » paru dans « Le Point » du 20 octobre 2011

(**) écrit en collaboration avec Geneviève Férone et édité chez Grasset