Coup de coeur
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Coup de coeurMELODY

Bernard Bellefroid

Rachel Blake, Lucie Debay

94 min.
25 mars 2015
MELODY

Melody (Lucie Debay), une jeune femme de vingt-huit ans sans le sou, décide de devenir mère porteuse afin de financer la création de son salon de coiffure. Emily (Rachel Blake), la mère commanditaire, est une riche anglaise qui approche de la cinquantaine et qui est en mal d’enfant.

Deux femmes. Deux rêves. Deux prénoms à la même consonance. Deux cultures et deux langues différentes. Deux mères réunies par un enfant que l’une portera pour l’autre.

Melody , le deuxième long-métrage du réalisateur belge Bernard Bellefroid  [1] , se fredonne en quelques notes mais il nous délivre une partition complexe et intime qui pianote avant tout sur les gammes de l’humain. Même si la question de la gestation pour autrui est au centre du film, il a l’intelligence de ne pas nous chanter un refrain polémique aux accents provocateurs ou moralisateurs. C’est au contraire bien plus la question de la filiation, de l’abandon et de l’adoption au sens large que Bernard Bellefroid développe, et il le fait avec un tact et une retenue exemplaires. En se plaçant en retrait de tout jugement éthique, Melody suscite plus de questions qu’il n’offre de réponses ; et c’est sans doute là l’une de ses forces.

En tissant et en dénouant sur un fil ténu les liens qui tantôt unissent, tantôt opposent ses deux héroïnes, ce film pudique dresse également un beau portrait de femmes, esquissé tout en finesse. Car en dépit de leurs engagements mutuels, rien n’est nécessairement coulé dans le marbre entre Emily et Melody. À défaut de se juger, elles se jaugent et s’affrontent. À défaut de se révéler, elles se cherchent et se dévoilent progressivement. À défaut d’être liées par les liens du sang, elles s’adoptent à travers leurs fêlures, leurs manques et leurs rêves. Fortes et sensibles à la fois, déterminées et simultanément pétries d’incertitudes, Melody et Emily évoluent sur la corde raide des contrastes émotionnels sans jamais sauter dans le vide du pathos larmoyant. Le duo d’actrices choisi par Bellefroid signe ici un accord parfait  [2] : Lucie Debay, dont les yeux pers crèvent littéralement l’écran, incarne avec un jeu minimal son rôle de femme-enfant avec une justesse désarmante ( lire notre interview ), et Rachel Blake, en femme d’affaires distante et résolue, est époustouflante lorsqu’elle dévoile la fragilité d’une femme en mal d’enfant.

Bien que multipliant les cadres rapprochés qui captent les aspérités de ses actrices et saisissent leur âme à travers leur regard, le réalisateur donne toutefois l’impression d’imposer à sa mise en scène une distance quasi documentaire, laquelle est renforcée par des décors aux tonalités souvent grises. C’est peut-être là le seul bémol qui risque de réfréner l’empathie de certains spectateurs mais cette distanciation n’a toutefois rien de très étonnant, Bernard Bellefroid s’étant principalement distingué dans la réalisation de documentaires.

Melody , ce n’est certes pas la mélodie du bonheur mais ce n’est pas non plus la énième complainte d’un drame social sans espoir ni lumière. Melody fait donc figure d’heureux événement pour le cinéma belge.

( Christie Huysmans


[1] La Régate , premier long-métrage de Bernard Bellefroid sorti en en 2009, abordait le thème de la violence intrafamiliale à travers le portrait d’un adolescent maltraité par son père. Melody a remporté le Prix Cinevox et le Prix du Public de la Ville de Namur au FIFF 2014.

[2] Lucie Debay et Rachel Blake ont toutes deux remporté le prix d’interprétation féminine au Festival de Montréal en 2014.