Les brèves des Festivals

LA 65ème BERLINALE EN BREF

15 février 2015
LA 65ème BERLINALE EN BREF

Du 5 au 15 février dernier se tenait le 65ème Festival de Berlin, un événement incontournable non seulement pour les cinéphiles du monde entier mais aussi pour tous les Berlinois. Si le Festival de Berlin se caractérise par une programmation particulièrement pointue, il n’en demeure pas moins un événement extrêmement populaire, accessible à tous. Car si la Berlinale a son QG non loin de la Potsdamer Platz, elle s’étend aussi dans les moindres recoins de la capitale allemande.

« Ce ne sont pas les gens qui vont au cinéma, c’est le cinéma qui va vers eux », nous déclarait un spectateur. Si depuis quelques années, Berlin est une capitale particulièrement en vogue d’un point de vue touristique et artistique, on peut aisément le comprendre : la ville respire la créativité de toutes parts et il y souffle un esprit d’avant-garde peu commun. Rien d’étonnant donc à ce que les salles de cinéma soient combles durant toute la Berlinale. Les spectateurs se déplacent en masse, le public est hétéroclite, détendu, chaleureux, communicatif et réceptif à toute forme d’humour au-delà de toutes barrières culturelles. De l’étudiant à l’homme d’affaires en passant par le chauffeur de taxi, personne n’échappe à l’attraction qu’exerce le Festival de Berlin. « Je n’ai pas hésité à prendre un jour de congé pour acheter mes places pour toute la Berlinale », nous a confié un spectateur. « Certains n’hésitent d’ailleurs pas à braver le froid hivernal et à camper devant les guichets la nuit précédant la mise en vente des tickets », ajoutait-il. Indéniablement, la Berlinale était the place to be en ce mois de février et l’événement était assurément à la hauteur de sa réputation.

FILMS EN COMPÉTITION :
LE PALMARÈS

Taxi remporte l’Ours d’Or : de l’humour, de la simplicité et de l’audace

Très éloigné de la comédie française du même nom, et conceptuellement proche de l’émission « Hep, Taxi », c’est caméra embarquée que le réalisateur iranien Jafar Panahi endosse le rôle d’un taximan sillonnant les rues colorées et animées de Téhéran. Accueillant à son bord une kyrielle de passagers aussi fantasques les uns que les autres, Jafar Panahi joue non seulement avec naturel mais aussi avec humilité son rôle de réalisateur dissident. Il s’amuse ainsi à écouter et à faire parler avec une naïveté pétrie d’humour les représentants d’une société qui est habituellement contrainte de garder le silence. Les passagers entrent et sortent au gré de la circulation, de leur empressement et de la destination chaotique de ce véhicule aussi banal qu’extraordinaire. Et c’est ainsi que se succèdent un ardent défenseur de la charia, une institutrice, un mourant, deux poissons rouges, une petite fille (nièce du réalisateur) qui est loin d’avoir sa langue dans sa poche et veut réaliser un film « distribuable » en Iran, une avocate, un loueur de films censurés, lequel voit en sa rencontre avec Panahi la possibilité de faire un juteux partenariat… Bien qu’occupant une place centrale dans ce film drôle et politiquement audacieux, le réalisateur prend garde de se positionner en retrait et ne saisit nullement l’occasion de faire de Taxi un « égo trip ». Ce sont au contraire toutes les strates de la société iranienne qui prennent la parole et qui, à travers elles, expriment tout l’amour que Jafar Panahi porte au 7ème art. C’est d’ailleurs en ces termes que le Président du Jury de la Berlinale, le réalisateur américain Darren Aronofsky, a salué le travail du cinéaste iranien en voyant dans Taxi « une lettre d’amour au cinéma ». Interdit de travailler en Iran et de quitter le pays, Jafar Panahi a donc réussi le tour de force de réaliser, sans colère ni violence, un film dénonçant le régime d’un pays qui instaure la primauté absolue de la charia, tout en préservant avec humour et légèreté, l’amour et le respect qu’il éprouve à l’égard de son pays et de sa communauté. On notera que Jafar Panahi est un réalisateur bien connu de la Berlinale car son film Closed Curtain , écrit par Kambuzia Partovi, s’était vu attribuer en 2013 l’ours d’argent pour le meilleur scénario.

L’ours d’argent du meilleur réalisateur : Body , de chair et d’esprit

Le Jury a tenu à décerner deux Ours d’argent du meilleur réalisateur : l’un est allé au Roumain Radu Jude pour Aferim , road movie historique en noir et blanc dans l’Europe de l’Est de 1835, et l’autre à la Polonaise Malgorzata Szumowska pour Body. S’il ne nous a pas été donné la possibilité de voir le premier, nous avons eu par contre eu le plaisir d’apprécier toutes les qualités du second.

C’est avec intelligence, subtilité, sensibilité et sobriété que la réalisatrice polonaise explore les liens intimes et complexes qui unissent le corps et l’esprit à travers Body

Janusz (Janusz Gajos) est coroner. Rationnel, méticuleux et capable de mettre son affect de côté dans l’exercice de ses fonctions, il pratique son métier avec la distance professionnelle qui est nécessairement requise. Mais si sur le plan professionnel, Janusz n’est pas un homme facilement impressionnable, il n’en va pas de même dans sa vie privée. Le comportement de sa fille, Olga (Justyna Suwala), qui est devenu anorexique depuis le décès de sa mère, le désarçonne et le laisse démuni. Craignant pour sa vie, Janusz la fait hospitaliser. Encadrée médicalement, Olga fait la connaissance d’Anna (Maja Ostaszewska), une psychologue qui, en dehors de ses activités professionnelles, a développé le don de communiquer avec les morts depuis le décès de son bébé.

La grande force de Body est sans aucun doute de ne jamais verser dans un ésotérisme fantasque, et ce, notamment grâce à la force cartésienne de son acteur principal, qui recentre continuellement le débat et réalise d’ailleurs une remarquable prestation. Film riche en réflexions sans sombrer dans l’intellectualisme ou le spiritisme, Body aborde un panel de sujets qui semblent naturellement se faire écho et où la barre de la rationalité maintient fermement son cap en dépit des tentations surnaturelles qu’il évoque : la difficulté de faire son deuil, une réflexion sur le corps et la relation qui l’unit à l’esprit, la méditation qui scande le pas des cœurs orphelins, les conflits inévitables qui se jouent entre l’espoir, la croyance et le rationalisme.

Même si Body accuse quelques petites maladresses, il fait indéniablement partie des belles découvertes de la 65ème Berlinale.

Ours d’argent des meilleurs interprètes féminins et masculins : les acteurs de 45 Years sortent grands vainqueurs

Ce sont les prestations de Charlotte Rampling et Tom Courtenay, tous deux acteurs principaux de 45 Years d’Andrew Haigh que le Jury a décidé de récompenser.

Certes, 45 Years ne manque nullement d’attrait, et l’inégalable classe de Charlotte Rampling est toujours au rendez-vous, mais force est de constater que d’autres acteurs étaient tout aussi susceptibles d’être mis à l’honneur. On songe notamment à Janusz Gajos dans Body ou encore à Marcel Alonso dans El Club .

Humour, tendresse et mélancolie sont sans doute les trois éléments clés qui font le charme de ce film anglais au ton souvent caustique, dont le scénario est tiré de la nouvelle « In Another Country » écrite par David Constantine.

Kate (Charlotte Rampling) et Geoff (Tom Courtenay) s’apprêtent à fêter leur 45ème anniversaire de mariage lorsqu’une « revenante » fait brutalement irruption dans leur vie. Cinquante ans plus tôt, le premier amour de Geoff a fait une chute mortelle dans les Alpes suisses, et un courrier lui annonce que son corps a été finalement retrouvé, gelé dans la glace. Tandis que Geoff se retire dans le monde secret et silencieux des souvenirs, Kate tente de refréner sa jalousie et de maîtriser son angoisse quant à l’impact qu’est susceptible de provoquer la réapparition d’une femme qui a occupé une place importante dans le passé de son mari. Jour après jour, les gestes du quotidien se répètent (prendre le petit-déjeuner ou le dîner ensemble, aller promener le chien…) mais ils sont tantôt nuancés, tantôt bousculés par les imprévus, et le couple subit mélancoliquement les affres du passé ou réagit heureusement aux pépites de l’inattendu.

Les années ne semblent pas avoir de prise sur la fraîcheur et l’élégance d’une Charlotte Rampling toujours amoureuse d’un homme duquel elle croyait tout connaître et parallèlement, la sensibilité d’un Tom Courtenay quelque peu déboussolé démontre combien la réceptivité émotionnelle d’un homme peut autant fragiliser son attachement au présent que raviver les blessures du passé. 45 Years démontre qu’en matière d’amour, rien n’est jamais définitivement acquis, et offre une belle photographie d’un couple vieillissant et attendrissant, tenu d’affronter à la fois ensemble et séparément un moment de crise à une heure où les problèmes de couple semblaient pourtant révolus.

Grand Prix du Jury pour El Club : un bijou de « pro-vocation »

« J’ai été élevé dans la tradition catholique et ensuite, je suis devenu réalisateur », a déclaré Pablo Larrain à l’issue de la projection de son film, El Club . Et pour cause, le cinéaste chilien ne mâche pas ses mots pour régler ses comptes avec l’Eglise Catholique et dénoncer la politique pour le moins « miséricordieuse » dont ont trop souvent fait preuve l’Eglise et ses prélats à l’égard de certaines brebis galeuses.

Monica, une étrange nonne (Antonia Zegers) et quatre prêtres tout aussi bizarres, Vidal (Alfredo Castro), Silva (Jaime Vadell), Ortega (Alejandro Goic) et Ramirez (Alejandro Sieveking) vivent reclus dans une maison située sur la côte chilienne. Lorsqu’ils ne boivent pas du vin ou qu’ils ne regardent pas la télévision, ils entrainent leur lévrier en vue de la prochaine course. Mais par Dieu, qu’est-ce qui a bien pu amener cette petite bande d’ecclésiastiques peu ordinaires à se rassembler ? Et pourquoi se retrancher du monde dans un coin aussi perdu et aussi déprimant ? Un lieu qui semble loti aux portes de l’enfer ; là où le soleil ne brille jamais et où souffle constamment un vent mauvais. Lorsqu’un nouvel arrivant, le Père Lazcano (Jose Soza) vient se joindre au groupe, un homme hirsute et négligé, Sandokan (Roberto Farias) débarque brusquement et l’accuse haut et fort des pires ignominies. L’homme, qui a tout d’un vagabond délirant et d’un ogre en disgrâce, ne s’encombre d’aucune fioriture langagière, et sa vulgaire logorrhée s’embrase en un puissant crescendo que rien ni personne ne semble pouvoir faire taire. Le Père Lazcano répond aux accusations proférées à son encontre par le silence et se tire une balle dans la tête. L’Eglise dépêche alors sur place un enquêteur-psychologue aux allures de Jésuite, le séduisant Père Garcia (Marcel Alonso). Mais quelles sont les réelles intentions de l’investigateur ? Est-il là pour dévoiler la sacrilège vérité ou a-t-il l’intention de s’assurer que les apparences de sainteté religieuse seront bien maintenues ? Entre l’ombre de la damnation et la lumière du salut, El Club traverse impudemment les eaux fangeuses d’un fleuve de mensonges et en extrait brillamment les alluvions les plus nauséabondes.

Servi par une palette d’acteurs diaboliquement talentueux, El Club figure sans doute parmi les films les plus provocants de la Berlinale et l’on n’aurait pas regretté que l’Ours d’Or lui eût été décerné. Décapant par son humour noir, troublant par les faux-fuyants qu’il s’efforce à la fois de dévoiler et d’escamoter de manière caustique, El Club parvient également à maintenir un suspense constant en faisant de son investigateur un « trouble-fête » dont les intentions demeurent obscures. Prêchant le faux pour obtenir le vrai, le Père Garcia incarne à merveille la duplicité d’un ange démoniaque. En jouant sur une atmosphère pesante où les gris dominent largement et en plaçant son action dans des décors froids, sombres et malsains, Pablo Larrain réverbère extérieurement le malaise psychologique que suscitent tous les protagonistes du film. El Club , est Le film à voir absolument pour tous ceux qui font partie du grand club des cinéphiles.

On notera que l’Amérique du sud a été aussi mise à l’honneur grâce à l’Ours d’argent du meilleur scénario pour le documentaire El botón de nácar ( Le Bouton de Nacre) de l’autre réalisateur chilien de la sélection, Patricio Guzmán.

Prix Alfred Bauer pour Ixcanul de Jayro Bustamente : poétique et intéressant

Prix récompensant chaque année un film qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique, le Prix Alfred Bauer a été décerné au jeune réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamente pour son premier long-métrage, Ixcanul . Un prix largement mérité pour l’intérêt du sujet qu’il aborde.

Maria (Maria Mercedes), une jeune fille de 17 ans issue de la communauté Maya Kaqchiquel, vit avec ses parents sur une plantation de café située aux pieds d’un volcan toujours actif. Promise à un mariage arrangé avec le contremaître de la ferme, Maria rêve toutefois de découvrir le monde qui s’étend au-delà de la montagne. Décidée à poursuivre l’inimaginable au sein de sa communauté, elle séduit un récoltant en café qui ne désire rien d’autre que rejoindre les Etats-Unis. Mais lorsque l’homme l’abandonne, Maria redécouvre sa culture et ses rituels avec un regard neuf.

Le réalisateur, Jayro Bustamente, a grandi au Guatemala dans la région où se déroule l’action d’Ixcanul et il y est retourné pour réaliser son film. Même s’il s’est largement documenté auprès de la population indigène pour mener à bien son projet, le jeune réalisateur s’est toutefois gardé d’adopter le ton du documentaire pour mettre à l’honneur cette communauté guatémaltèque relativement retranchée. En investissant les liens particuliers qui unissent les femmes en tant que filles, mères ou grands-mères, Ixcanul nous fait découvrir un rythme de vie défini par des croyances et des traditions ancestrales qui tiennent parfois de l’extraordinaire. Tous les personnages d’Ixcanul ont été incarnés par des acteurs non professionnels, et force est de constater que ces derniers ne jouent pas un rôle mais transmettent avec une vérité remarquable l’esprit de toute une culture. Poésie et authenticité sont sans aucun doute les maîtres mots qui définissent ce film qui sonne extrêmement juste et auquel on décerne sans peine un coup de cœur.

AUTRES FILMS EN COMPÉTITION

Prix du meilleur film par les lecteurs du Berliner Morgenpost pour Victoria de Sebastian Schipper : déjanté et rythmé, drôle et tragique

Rien d’étonnant à ce que ce film de 140 minutes réalisé par le jeune Sebastian Schipper (connu en tant qu’acteur dans Cours, Lola, cours ) ait remporté l’adhésion du public puisque Victoria était sans aucun doute le plus berlinois de tous les films en compétition. Tourné au cœur même de la capitale allemande dans 22 endroits en un seul plan séquence, Victoria met en scène une jeune femme originaire de Madrid, nommée Victoria (Laia Costa), qui, au sortir d’une boîte de nuit, rencontre quatre garçons qui se présentent comme Sonne (Frederick Lau), Boxer (Franz Rogowski), Blinker (Burak Yiğit) et Fuß (Max Mauff). Ils se mettent à discuter, à blaguer et à rigoler. Très vite, Victoria se prend de sympathie pour Sonne et accepte de les suivre pour boire un dernier verre. Cette rencontre va toutefois la mener dans une folle épopée qui s’achèvera sur une aube tragique.

Suivant une structure narrative où les ellipses sont inexistantes, Victoria frappe par son rythme extrêmement soutenu et donne l’immédiate impression au spectateur d’accompagner en temps réel cette bande de gentils bad boys . Les dialogues, pour la plupart improvisés et principalement exprimés dans l’anglais le plus élémentaire, s’enchaînent avec une naturelle rapidité et une spontanéité hors du commun, ce qui confère à tous les personnages une extraordinaire vérité. La première scène du film où l’on découvre Victoria, éblouie par les stroboscopes d’une boîte de nuit et s’abandonnant totalement à la fièvre de la danse sur une musique techno incandescente, séduit immédiatement et entraîne d’emblée le spectateur dans un walk movie énergique et hyper-cinétique.

Drôle et touchant, déjanté et dramatique, Victoria fait la part belle à une jeunesse qui vit constamment sur le fil du rasoir et oscille entre les points cardinaux de l’extrême : écartelés entre la recherche de sensations extatiques et le souhait de mener une vie tranquille, partagés entre la désillusion, l’ennui et l’espoir, tous se dispersent sur le plan émotionnel autant qu’ils se cherchent et se perdent dans les actes qu’ils posent.

Par ses décors et son côté erratique, Victoria pourrait rappeler conceptuellement Oh Boy (l’esthétique et la mélancolie en moins), et l’on notera d’ailleurs au passage que la très brève incursion du personnage de Frederick Lau dans Oh Boy est d’une étonnante proximité avec celui de Sonne dans Victoria . Mais si le tempo techno de Victoria suit une cadence frénétique et recèle un quelque chose qui s’approche du « trash sublime », Sebastian Schipper orchestre aussi, à la façon d’un virtuose, ses points de suspension dramatiques. On saluera d’autant plus la réussite et la force expérimentale de Victoria , sachant que son script ne tient qu’à une petite douzaine de pages.

(Victoria a été également élu meilleur film par la Guild of German Art House Cinemas et l’un de ses cameramen, Sturla Brandth Grovlen, a obtenu le prix de la meilleure caméra.)

Queen of the Desert de Werner Herzog : une mise en scène totalement aboutie et une reine irréprochable

Une mise en scène panoramique, des décors somptueux et un éventail de tonalités musicales et poétiques totalement en phase avec les états d’âme de son héroïne, telles sont les clés de voûte de ce biopic magnifiquement charpenté. Nicole Kidman, plus charismatique et glamour que jamais, y incarne avec grâce le rôle de Gertrude Bell (1868-1926), une femme hors du commun : supérieurement intelligente, extrêmement cultivée et instruite à l’université d’Oxford (l’une des quatre exceptions féminines de l’époque), cette jeune femme indépendante, ambitieuse et déterminée, féministe de la première heure, décide, après une histoire d’amour tragique, d’explorer le désert de l’Empire Ottoman. Au cours de ses longues traversées, elle profitera de l’occasion pour apprendre les différents dialectes de la région et y rencontrera tous les dignitaires influents. Immensément respectée par les Touaregs, elle sera surnommée la Reine du Désert et fera partie avec Peter Cox et Thomas Edward Lawrence (Lawrence d’Arabie) du petit groupe d’orientalistes constitué par Winston Churchill pour redéfinir les frontières en Orient après la dislocation de l’Empire Ottoman. Elle contribuera notamment à l’émergence de nouveaux pays comme l’Irak. À l’instar de son collègue Lawrence d’Arabie dont la vie aventureuse et amoureuse inspira le film réalisé par David Lean en 1962, qui remporta sept Oscars, la stature romanesque de la vie de Gertrude Bell ainsi que la majesté de sa personne contribuent à nous faire totalement oublier que Queen of the Desert s’inspire d’une histoire vraie. D’aucuns pourraient certes reprocher à Werner Herzog le classicisme formel de son film mais l’on conviendra aisément que l’optique choisie par le réalisateur, celle du grandiose, sied à merveille à la personnalité de celle qu’il honore.

Knight of Cups de Terrence Malick : ésotérique et difficilement accessible

Si certains cinéphiles avertis avaient déjà éprouvé quelques difficultés à apprécier The Tree of Life et To the Wonder , ils auront d’autant plus de mal à adhérer à Knight of Cups , le dernier film de Terence Malick. Car, il faut en convenir avec regret, même les fans les plus inconditionnels du réalisateur risquent d’être déçus. Si ses deux précédents films suscitaient déjà un questionnement spirituel voire spiritualiste et pouvaient en laisser certains interdits, le creuset intellectuel qu’ils offraient ainsi que l’approche esthétique qu’ils déployaient, avaient largement de quoi séduire. Dans Knight of Cups , l’exercice de séduction s’avère beaucoup plus périlleux tant le virage ésotérique opéré par Malick semble l’éloigner du commun des mortels. Certes, les glissements de caméra dont le réalisateur peut se prévaloir sont toujours admirablement maîtrisés et sa symphonie d’images est toujours orchestrée avec maestria mais la dislocation existentielle des personnages est devenue telle que seuls quelques rares élus, férus de cartomancie, seront susceptible de suivre leurs monologues intérieurs dans le labyrinthe de l’Espace et la vacuité du Temps. Suivant pas à pas les pensées et les réminiscences (principalement amoureuses) de Rick (Christian Bale) à la manière d’un James Joyce en déroute, Knight of Cups nous entraîne dans l’Odyssée d’un homme tourmenté qui, après avoir été l’esclave du système Hollywoodien et dépendant du succès, est frappé par le vide de son existence et tâche désespérément de retrouver sens et authenticité. Structurellement découpé selon la symbolique prophétique de certaines cartes du tarot, Knight of Cups tente, semble-t-il, à travers un héros perdu dans l’immensité du monde, de rassembler les pièces éparses d’un puzzle existentiel ; un acte qui viserait à échapper à une certaine forme de damnation. Certes, il faut parfois traverser l’obscurité de la nuit pour poser un regard neuf sur la lumière de l’aube mais Malick nous le dévoile avec bien peu de clarté.

Journal d’une femme de chambre de Benoît Jacquot : un grand classique qui manque de tension dramatique

Tiré du roman d’Octave Mirabeau et déjà porté trois fois à l’écran, notamment par Jean Renoir en 1946 et Luis Buñuel| en 1964, avec Jeanne Moreau|, Georges Géret et Michel Piccoli dans les rôles principaux, Journal d’une femme de chambre pose un regard sardonique et acerbe sur la bourgeoisie du début du 20ème siècle. Raconté à partir de la perspective d’une jeune servante (Léa Seydoux) qui n’hésite pas à mettre sa sensualité au service de sa sécurité, le film de Benoît Jacquot a tout de la bonne peinture classique des mœurs sociales de toute une époque. Si le ton des acteurs principaux est juste et convaincant, on regrette qu’il n’en soit pas systématiquement de même pour les personnages secondaires. On regrettera également que la constante tonalité dramatique du film (amplifiée par un thème musical lancinant, redondant, et au final lassant) ne débouche sur aucun véritable climax. Si l’on tient compte du fait que le texte d’origine a déjà fait l’objet de plusieurs adaptations, on aurait apprécié une plus grande liberté scénaristique et une mise en scène moins formelle.

Als wir träumten (As we were dreaming) d’Andreas Dresen : désillusion et violence

La banlieue de Leipzig après l’effondrement de l’Allemagne de l’Est. Rico, Daniel, Paul et Mark, tâchent péniblement de se faire une place et de se trouver de nouveaux repères dans un pays qui en est aux balbutiements de sa réunification. Désœuvrés, ils trainent dans les rues, volent des voitures et testent de nouvelles drogues. Leur seul point d’ancrage : un night-club underground qu’ils montent avec les moyens du bord. Malheureusement, ce refuge précaire ne sera que de courte durée car très vite il sera assiégé par une bande de skinheads néo-nazis. Portrait sans concession d’une jeunesse rebelle, orpheline de ses idéaux et pourtant toujours utopique dans la poursuite du Grand Bonheur, le film d’Andreas Dresen frappe par sa violence physique et sa brutalité existentielle. Utile et marquant si l’on essaie de transposer la désillusion d’alors au désenchantement actuel d’une certaine jeunesse, Als wir träumten n’est pas toutefois le genre de film qui sera au goût de tous les cinéphiles.

Pod electricheskimi oblakami (Under Electric Clouds) d’Alexey German Jr. : incompréhensible

2017. La construction d’un bâtiment n’a jamais été achevée. Le terrain est semblable à un no man’s land chaotique où tout le monde est condamné à une éternelle errance. Des scènes absurdes se juxtaposent interminablement ; elles sont ponctuées de dialogues dénués de tout sens. En deux heures dix, le réalisateur russe parvient à faire douter quiconque de sa capacité d’entendement et est parvenu à faire fuir les spectateurs les uns après les autres lors de sa première projection publique.

HORS COMPÉTITION

Mr. Holmes de Bill Condon

Librement adapté du roman de Mitch Cullin « A Slight Trick of the Mind », Mr. Holmes met en scène le célèbre détective Sherlock Holmes (Ian McKellen) qui, à l’âge canonique de 93 ans, vit retiré dans son cottage du Sussex en compagnie de sa servante, Mrs. Munro (Laura Linney) et de son fils, Roger (Milo Parker). Revenu d’un voyage au Japon où il a pu obtenir un remède censé l’aider à resserrer les fils de sa mémoire, Holmes partage son temps entre l’écriture de son journal et l’apiculture, un art auquel il initie le jeune et curieux Roger. Nostalgique et ironique, le vieux Holmes rit, non sans regret, du personnage fictif que l’on a fait de lui tant dans la littérature qu’au cinéma : contrairement à la légende, il n’a jamais porté de chapeau, et à la pipe, il préfère la cigarette. Perturbé par la réminiscence d’une vieille affaire erronément portée à l’écran, il tâche de raviver le feu de ses souvenirs, et c’est encouragé par Roger qu’il entreprendra d’écrire la véritable histoire de la mystérieuse Ann Kelmot. Jouant habilement sur les strates de l’écriture et de ses avatars dans ce qu’elle a de fictif et de « réel », oscillant entre gravité, humour et tendresse, Mr. Holmes dispose de tous les atouts pour séduire un large public. Bien que Mr. Holmes ait été réalisé par un cinéaste américain, Bill Condon, tous les amoureux d’un cinéma à l’accent very british succomberont sans nul doute au charme classique de sa mise en scène et à la justesse de son jeu d’acteurs.

BERLINALE SPECIALE

Love & Mercy de Bill Pohlad : un biopic aux bonnes vibrations

C’est à la vie de Brian Wilson, fondateur du mythique groupe des Beach Boys que Bill Polhand s’attaque dans Love & Mercy . En focalisant son propos sur l’intimité de Brian Wilson, le réalisateur dévoile la part sombre d’un génie musical et met simultanément à l’honneur le talent innovateur d’un infatigable créateur. L’originalité de ce biopic, très justement dosé musicalement, réside principalement dans le fait que Bill Polhand orchestre avec brio un jeu de miroirs entre deux périodes de la vie de Wilson et deux facettes de sa personnalité (son génie créatif et sa folie) : d’une part, l’époque à laquelle Brian Wilson tente d’insuffler un renouveau musical à son groupe par une approche expérimentale et qui se situe dans le milieu des années 60 ; et d’autre part, la période (fin des années 80) où après avoir été diagnostiqué schizophrène paranoïaque (un diagnostic qui sera remis plus tard en cause), Brian Wilson fait l’objet d’une garde rapprochée, voire carcérale, de la part du Dr. Landy, période qui coïncide aussi avec le moment où il fait la connaissance de Melinda, la femme qui deviendra plus tard son épouse (Elizabeth Banks à l’écran) et avec laquelle il adoptera cinq enfants. Vibrant hommage à Brian Wilson, Love & Mercy a aussi le mérite de montrer combien la musique des Beach Boys ne s’appuyait pas seulement sur des airs gentiment entraînants mais ô combien elle reposait sur la maniaque orchestration d’un exceptionnel musicien.

Bien que Love & Mercy joue la carte de l’alternance entre deux moments de vie, la mise en scène opère ses glissements temporels sans brusque césure, et la continuité et la cohérence du personnage central est toujours assurée avec fluidité et crédibilité grâce aux prestations de John Cusack et Paul Dano. Le chromatisme de la pellicule et la juste reconstitution de toute une époque, entrecoupée de flash-backs eux aussi très minutieusement dosés, en rendront peut-être certains nostalgiques mais les feront aussi surfer sur un océan de « good vibrations ».

Chaleureusement ovationné par le public de la Berlinale, Brian Wilson, accompagné de son épouse, n’a pu cacher son émotion et sa satisfaction quant au travail accompli par Bill Polhand et ses acteurs.

Selma de Ava DuVernay : un format américain pur et dur

Film de la trempe de Malcom X , Selma met en scène un Martin Luther King qui, après avoir reçu le Prix Nobel de la Paix, lutte ardemment contre la discrimination raciale qui a cours dans la ville de Selma en Alabama, l’un des Etats les plus racistes des Etats-Unis en 1965. Évitant le traditionnel biopic, Selma a certes le mérite de dévoiler les tractations secrètes qui ont eu cours à l’époque entre le Président Lyndon Johnson et le révéré pasteur. Le film ne manque pas non plus de dénoncer le machisme ambiant mais... son format très classique, qui culmine avec une marche très artificiellement mise en scène, le rend très peu innovant. Même si Selma (constitué d’un casting étonnamment très british) déchaîne les foules outre-Atlantique, David Oyelowo, qui incarne le rôle de Martin Luther King, pèche par un surjeu qui déforce la crédibilité de sa prestation. C’est sans grand charisme qu’Oyelowo apparaît comme le sosie fantomatique de celui qui « had a dream ». Seule la bande son est remarquable et a d’ailleurs été très justement distinguée aux Oscars.

EN MARGE DE LA COMPÉTITION

Im Sommer wohnt er unten de Tom Sommerlatte : caricatural mais plaisant

Film franco-allemand, Im Sommer wohnt er unten met en présence deux frères que tout oppose. L’un, Matthias, est bohème et insouciant, l’autre, David, est psychorigide et aime afficher les signes extérieurs de sa prétendue réussite professionnelle. Lorsque ce dernier arrive, accompagné de Lena, sa docile épouse, dans la maison de vacances familiale qu’occupe son « raté » de frère et qu’il découvre qu’il y vit avec une femme française impertinente et son enfant de six ans, il ne peut s’empêcher de cacher sa joie. N’aspirant qu’au calme et au repos, incapable de supporter le bruit du plaisir et l’exubérance de l’enfant, l’arrogant David somme immédiatement Matthias de faire déguerpir Etienne, l’encombrante progéniture. S’ensuit un affrontement constant entre le frère aîné dominant et Camille, la provocante compagne du cadet dominé. Volontairement caricatural, ce film simple, drôle et plaisant n’a pas la prétention de se prendre au sérieux et s’avère pétri de bonnes intentions. Les dialogues souvent acides, exprimés en anglais, en français et en allemand, offrent un joli melting-pot linguistique qui resserre les liens interculturels unissant la France et l’Allemagne.

Nasty Baby de Sebastián Silva

Freddy et son compagnon Mo vivent à Brooklyn et souhaitent ardemment avoir un bébé. C’est avec l’aide de Polly, l’une de leurs fidèles amies, elle aussi en mal d’enfant, qu’ils espèrent atteindre leur but. Mais la conception de l’enfant ne s’avère pas aussi simple, et les petites complications du quotidien s’avèrent parfois sources de gros problèmes, telle l’intrusion constante d’un vagabond bruyant et dérangeant. Décousu et brouillon, Nasty Baby se disperse en tous sens au fil de sa narration et en vient à perdre le fil de son sujet. La fin, pour le moins surprenante, laisse perplexe et nous fait nous demander : What was the point of all this ?

Ben Zaken d’Efrat Corem

Shlomi Ben Zaken vit avec sa fille Ruhi en compagnie de sa mère et de son frère dans la banlieue pauvre d’Ashkelon, une ville côtière au sud de l’Etat d’Israël. Abandonnée par sa mère, Ruhi est une adolescente rebelle et insolente qui multiplie bêtises et provocations. Seuls les liens ténus qui la lient à son père semblent l’apaiser et la maintenir en équilibre. Multipliant à répétition les plans fixes en plaçant l’action hors champ, la réalisatrice Efrat Corem abuse d’une technique qui, par sa redondance, fige la fluidité de sa narration. Portrait social et familial d’un microcosme en état de suffocation, Ben Zaken a la tonalité d’un film terne qui ne va pas au bout de son propos.

( Christie Huysmans )