Les brèves des Festivals

MORT À SARAJEVO

Danis Tanović

Jacques Weber, Snežana Vidović, Izudin Bajrović, Vedrana Seksan, Muhamed Hadžović

85 min.
4 mars 2016
MORT À SARAJEVO

Grand Prix du Jury pour Mort à Sarajevo :
un film choral et métaphorique sur les enjeux historico-politiques de
l’ex-Yougoslavie et ses ressorts émotionnels et sociaux actuels

Mort à Sarajevo
 constitue une gageure cinématographique si l’on tient compte du fait qu’il est l’adaptation d’une pièce de Bernard Henri-Levy, Hotel Europe ,
qui sous la forme d’un long monologue met en scène un écrivain
préparant un discours sur l’ex-Yougoslavie à l’occasion de la
commémoration du centième anniversaire de l’assassinat de l’archiduc
François Ferdinand. Si la pièce du philosophe avait reçu un accueil très
mitigé en France, sa libre adaptation au rythme enlevé et dénué de tout
verbiage pompeux a non seulement conquis le Jury international de la
Berlinale mais aussi celui de la critique puisqu’il a également obtenu
le Prix Fipresci.

Reprenant
à son compte une unité de lieu et de temps propre au théâtre classique,
le réalisateur, Danis Tanovic (oscarisé en 2001 et récompensé à Cannes
pour No Man’s Land )
nous invite à revisiter les recoins de l’histoire de l’ex-Yougoslavie
en explorant à travers chaque étage du plus prestigieux hôtel de
Sarajevo, l’Hôtel Europa, les répercussions socio-économiques actuelles
et les blessures intimes d’un conflit dont les origines et les
responsabilités semblent, aujourd’hui encore, toujours inextricables.
Habilement orchestré,  Mort à Sarajevo  nous
amène à suivre pas à pas une kyrielle de personnages qui, du toit de
l’hôtel jusqu’aux bas-fonds de son night-club, représentent d’une part
une facette de la société bosniaque actuelle et trahissent d’autre part
les failles et les faiblesses d’une Europe peu glorieuse. Entre les
erreurs du passé et les incertitudes du futur, Tanovic suit tantôt avec
frénésie tantôt avec un détachement cynique le tracé en zigzag de
personnages aux visions politiques et aux intérêts personnels
divergents. Pour l’équipe de journalistes qui a placé son QG sur le toit
de l’hôtel, l’une des questions est de savoir si Gavrilo Princip,
l’assassin de 1914 était un criminel, un terroriste, un gamin victime de
manipulation ou un héros national. Confrontant l’avis de plusieurs
historiens, la journaliste aux commandes de l’émission dresse une
mosaïque d’avis contradictoires desquels aucun consensus ne semble
ressortir. Tandis que dans la suite olympique, un ressortissant français
accueilli en grandes pompes, répète inlassablement un discours, des
policiers bien mal briefés l’observent avec amusement sans y comprendre
goutte. Sans doute faut-il y voir là la métaphore de citoyens bosniaques
voire européens médusés par des discours qui tiennent de la mascarade
ou les dépassent totalement ? Entre les cuisines et la laverie, la
tension monte progressivement : les employés, qui n’ont plus été payés
depuis des mois, projettent de faire faire grève. Un projet qu’Omer, le
directeur de l’hôtel ne peut se permettre de tolérer au vu des dettes
que son établissement a contracté à l’égard des « bailleurs de fonds »
qui ont pris leur quartier dans les sous-sols de l’hôtel. Il mettra sous
pression Lamija, sa réceptionniste, afin d’éviter que cet éventuel
heurt social ne vire au dérapage médiatique. Mais dans un tel
environnement, une catastrophe est toujours susceptible de survenir au
bout d’un couloir.

A mi-chemin entre la satire politique et le drame social,  Mort à Sarajevo  offre avec un humour noir une photographie incisive d’un pays qui semble toujours en manque de repères au cœur de l’Europe.


(Christie Huysmans)