Rattrapage

FESTIVAL RAMDAM 2016

Christie Huysmans
3 février 2016
FESTIVAL RAMDAM 2016

Pour sa 6ème édition, le Festival Ramdam, qui s’est tenu du 18 au 26 janvier à Tournai, n’a pas failli à sa réputation. En enregistrant une hausse de fréquentation de plus de 40% par rapport à 2014 (l’édition 2015 avait été contrainte d’être suspendue durant 72 heures en raison de menaces terroristes), le Festival a accueilli 18 764 visiteurs. Un cinéphile averti nous confiait d’ailleurs sa satisfaction quant à l’extraordinaire engouement que suscite le Festival : « Il est réjouissant de constater que même en pleine semaine, les séances programmées à 16h30 font toujours salle comble ! » Mais si le Ramdam se démarque par la qualité pointue de sa programmation, il peut tout autant s’enorgueillir de sa remarquable convivialité, des échanges fructueux et des belles rencontres qu’il favorise, ainsi que de l’accueil chaleureux qu’il réserve à tous ses visiteurs que l’on soit cinéaste de renom ou festivalier d’un jour.

Comme chaque année, à l’exception du Prix de la Critique et des Prix Clip-Clap (prix récompensant les meilleures critiques rédigées par des étudiants), c’est le public qui fut le Grand Jury du Festival. À l’issue de chaque séance, les spectateurs ont donc été systématiquement invités à voter pour le film qu’ils estimaient d’une part, le meilleur et, d’autre part, le plus dérangeant.

Retour sur les films qui ont marqué les festivaliers.

Catégorie Fiction

C’est sans grande surprise que le film  Land of Mine  du réalisateur Martin Zandvliet est sorti grand vainqueur en raflant le Prix du Meilleur Film ainsi que le Prix du Film Le Plus Dérangeant. Deux prix largement mérités car c’est avec une terrifiante sobriété que Land of Mine nous dévoile une partie aussi sombre que méconnue de l’Histoire danoise. L’actrice Laura Bro, venue recevoir les deux prix au nom du réalisateur, confiait d’ailleurs : « Lorsque j’ai lu le scénario, j’ai été glacée d’effroi car c’est un fait de l’histoire dont on ne parle évidemment pas dans les manuels scolaires et qui est, pourtant, une enfreinte claire aux conventions de Genève.  »

Quelques jours après la capitulation de l’Allemagne nazie en mai 1945, quelque 2000 jeunes prisonniers de guerre allemands ont été remis aux autorités danoises avec ordre d’enlever plus de deux millions de mines que l’armée nazie avait enfouies sous le sable le long de la côte ouest du Danemark. Ce sont dans des conditions effroyables que ces jeunes, qui au fond n’étaient encore que des enfants, ont déminé les plages à mains nues en rampant dans le sable et en crevant littéralement de faim sur place.

Dès le premier plan, c’est sans concession que Martin Zandvliet met violement en scène la haine danoise à l’égard de l’ennemi nazi. Une haine animée d’un sentiment de revanche viscérale, certes compréhensible de la part d’un sergent qui a pris les armes mais qui deviendra de moins en moins évidente lorsqu’il se verra confier la charge de commander une bande de gamins, otages d’une guerre dont seul leurs aînés sont les réels instigateurs. Car c’est bien là tout le propos du film qui s’inscrit très subtilement en filigrane et se révèle avec une force progressive : comment a-t-on pu envoyer volontairement au casse-pipe des adolescents qui avaient été enrôlés de force dans un conflit dont les motifs, les enjeux et l’idéologie les dépassaient totalement ? Les vainqueurs gagnent-ils réellement la guerre lorsque la houle de leur arrogance et l’écume de leur revanche engendrent l’humiliation de victimes innocemment vaincues ?

Land of Mine
 ne déroge pas à la réalité tragique de l’Histoire car rares ont été ces jeunes à s’en sortir indemnes. Pourtant, le cinéaste parvient, avec un glaçant réalisme, à surprendre le spectateur en déjouant systématiquement ses « attentes » les plus angoissées. (Certaines âmes sensibles sont d’ailleurs susceptibles d’être prises de nausées.)

Si l’on ajoute à la force dérangeante de son sujet, l’économie austère des décors (des plages désertiques, glaciales et hostiles), la parcimonie cinglante des dialogues ainsi que la justesse du casting* et sa direction sans failles, Land of Mine cumule un nombre de qualités impressionnantes pour un film réalisé par un cinéaste autodidacte.

Land of Mine
 sortira chez nous le 23 mars prochain, et il fera assurément partie des immanquables du printemps 2016 !

*On notera que le jeune acteur allemand, Louis Hofmann avait déjà été récompensé en octobre 2015 en Belgique lors du Festival du Film Historique de Waterloo pour sa prestation dans Freistatt (Sanctuary) de Marc Brummund, film multi primé dans ce même Festival.

Catégorie Ramdam de l’année

Si le Festival Ramdam se tient en Wallonie, le comité de programmation a l’intelligence de demeurer très attentif à ce qu’il se fait de mieux au nord de notre pays. Déjà en 2014, trois films flamands avaient été largement plébiscités par le public ( The Broken Circle BreakdownDe Behandeling et Het Vonnis ). En 2016, c’est le film  Black  d’Adil El Arbi et Bilall Fallah, qui remporte les suffrages en tant que Meilleur Film et Film Le Plus Dérangeant.

(Lire à ce sujet notre chronique du film et notre interview des réalisateurs.)

Catégorie Documentaires

Prix du Public

C’est  Demain  de Mélanie Laurent et Cyril Dion que le public a décidé de primer en tant que meilleur documentaire, et Red Lines d’Andréa Kalin et Oliver Lukacs en tant que documentaire Le Plus Dérangeant.

La grande force de  Demain  est sans aucun doute de ne pas se focaliser de manière alarmiste et défaitiste sur les ravages quasi irréversibles que nos modes de vie provoquent sur l’environnement et la santé mais surtout de montrer comment certaines initiatives très concrètes pourraient permettre de lutter durablement pour la sauvegarde de l’environnement si elles étaient menées à plus large échelle. En investiguant les 4 grands piliers que sont la consommation alimentaire, l’énergie, l’économie et la politique (notamment dans la mise en œuvre de la démocratie), Mélanie Laurent et Cyril Dion ont parcouru le monde, épinglé les dysfonctionnements de notre société consumériste tout en les contrebalançant par des projets positivement novateurs. Des petits et des grands projets qui non seulement ont fait leur preuve localement en matière de respect environnemental mais ont aussi démontré économiquement qu’une plus sage et plus saine gestion de nos ressources naturelles était synonyme de rentabilité et de productivité. Certes, le ton du documentaire est parfois un tantinet naïf mais le positivisme qu’il insuffle et l’élan créatif qu’il inspire méritent d’être largement salués. Gageons que tous les exemples mis à l’honneur dans ce documentaire donnent des idées à d’autres et fassent boule de neige !

C’est à travers le prisme de deux jeunes activistes que les reporters américains Andréa Kalin et Oliver Lukacs reviennent sur les débuts du conflit syrien et tâchent d’en explorer la complexité. De la révolution pacifiste début 2011 à la politique de la chaise vide (laquelle a permis à Daesh d’occuper le terrain) en passant par la réplique armée et sanglante de Bachar el-Assad,  Red Lines  tente à la fois de dénoncer la politique dictatoriale du gouvernement en place et d’éclairer les occidentaux quant aux initiatives entreprises par Mouaz et Razan, deux jeunes activistes réunis pour lutter pour une même cause : l’appel à l’aide internationale et l’instauration d’une démocratie dans leur pays. Ayant eu la chance de découvrir ce documentaire avec un journaliste syrien réfugié en Belgique, il y a toutefois lieu d’émettre quelques réserves quant à la neutralité politique de ce documentaire et de souligner l’incongruité de certains détails. « Croyez-vous vraiment que la démocratie s’imposera en Syrie en fournissant quelques uniformes venus de l’Occident à une police civile esseulée ? », nous a-t-il notamment fait remarquer.

Prix de la Critique UCC – UCPB

Pour sa part, le jury de la presse a décidé de primer à l’unanimité le documentaire  The True Cost  d’Andrew Morgan ( http://truecostmovie.com/ )   en motivant son choix comme suit :

Le 13 mai 1940 à Londres, Winston Churchill prononça un discours qui demeura dans les mémoires. Il dit (et je le cite) : « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur. »

Le documentaire que nous avons décidé de primer ne nous parle pas de notre propre sang, de notre peine, de nos larmes ni de notre propre sueur.

Pourtant, avec une force interpellante, il nous met face au poids de la souffrance que nous portons tous - que nous soyons hommes, femmes ou enfants- quotidiennement, à notre insu.

Il s’agit de la sueur et des larmes qui s’infiltrent dans les mailles de nos chandails dernier cri ; il s’agit du sang et de la peine qui tissent nos jupes et nos foulards bigarrés aux colorants mortels ; il s’agit des cancers et autres maladies incurables qui découlent de nos t-shirts à 3, 50 EUR fabriqués en coton transgénique cultivé à grand renfort de pesticides et d’insecticides, qui polluent les sols et les rivières, et j’en passe !

Parce que le sujet évoqué dans ce documentaire nous concerne tous, parce qu’il nous oblige à sortir de notre zone de confort, parce qu’il suscite une prise de conscience ô combien dérangeante, et espérons-le, parce qu’il nous amènera à devenir non pas seulement des consommateurs responsables mais aussi des êtres humains dignes et libérés d’une dictature qui voudrait nous faire croire qu’une année compte désormais quinze saisons, le Prix de la Critique UCC – UPCB est décerné à The True Cost d’Andrew Morgan.

Catégorie Courts-métrages

C’est  Reprieve  du canadien Lorian James Delman qui a été élu le Meilleur Court-Métrage et  Sans mobile fixe  de Jérôme Peters qui s’est vu décerner le Prix du court-métrage Le Plus Dérangeant. Si nous n’avons malheureusement pas eu l’occasion de voir le premier, nous avons par contre eu le plaisir de découvrir le second. 

Nono et Janine, un couple de septuagénaires, vivent heureux dans leur modeste cabane au milieu des bois. Le jour où ils apprennent qu’ils vont être expulsés, Janine préfère mourir que de quitter son foyer, et demande à Nono de la tuer. Y parviendra-t-il ou pas, et comment s’y prendra-t-il ? Même si son issue est prévisible,  Sans Mobile Fixe  offre en une quinzaine de minutes un intéressant condensé émotionnel qui oscille entre drame social, ironie morbide et nostalgie amoureuse. Au-delà de toute passion, peut-on se résoudre à mettre fin à la vie de l’autre, fût-ce à sa demande, sans courir le risque de mourir à soi-même ? Face à une décision politique inéluctable, la mort est-elle une forme de résistance ou une voie vers la tranquillité ? Face à ces deux questions moralement épineuses, on comprend aisément le malaise que ce court-métrage a suscité auprès du public.