Ramdam 2018
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

MALARIA BUSINESS

Bernard Crutzen

Documentaire avec la voix de Juliette Binoche

70 min.
16 janvier 2018
MALARIA BUSINESS

Ce documentaire, réalisé par Bernard Crutzen et auquel Juliette Binoche a volontiers prêté sa voix, fut sans doute le film le plus dérangeant qu’il nous ait été donné de découvrir toutes catégories confondues dans le cadre du Ramdam 2018. Le plus dérangeant, car le plus révoltant sur le plan humain, le plus indignant sur le plan sanitaire, le plus inquiétant au niveau économico-politique et le plus interpellant en termes éthiques.

Les faits sont les suivants : la malaria tue un enfant toutes les deux minutes et 92% de ces décès sont comptabilisés en Afrique (soit 500.000 personnes par an). Les médicaments vendus actuellement sur le marché (tant à titre préventif que curatif) ont une efficacité relative. L’un d’entre eux (le lariam) a d’ailleurs fait l’objet de procès en raison de la nocivité de ses effets secondaires sur le plan mental, pouvant conduire jusqu’au suicide. L’exemple médiatique européen le plus connu est celui du chanteur Stromae.

Or, il existe une plante, l’artemisia annua, connue depuis 2000 ans en Chine, qui, prise en tisane, guérit totalement le paludisme, preuves scientifiques à l’appui. L’utilisation de cette plante est déconseillée par l’OMS, interdite en France et en Belgique sur base d’un arrêté royal datant du 29/08/1997 mais elle est par contre autorisée en Allemagne, au Luxembourg et aux Pays-Bas.

Le Jury de la Presse et de l’Union de la Critique de Cinéma auquel CinéFemme a eu le plaisir de participer, lui a décerné son Prix et l’a justifié comme suit : « Le Jury a décidé de primer un documentaire qui nous révèle un choix. Entre un remède naturel susceptible de guérir le plus grand nombre à moindre coût et une toxicomanie financière qui sert et asservit l’establishment médical, quelle option retenir ? Les réponses sont plus complexes qu’il n’y paraît, et nécessiterait qu’au plan politique, une action d’envergure soit menée, notamment en termes éthiques. Mais pour l’heure, la réponse dominante est subordonnée à une arithmétique cynique selon laquelle un patient que l’on soigne mais que l’on ne guérit pas, devient un client. »

Comme souligné dans la justification du Jury, les réponses aux questions que soulève le documentaire sont complexes et laissent assurément encore planer certaines zones d’ombre qui mériteraient d’être éclaircies, voire encore investiguées dans une perspective beaucoup plus large.

Au premier rang des questions qui nous taraudent l’esprit et auxquelles le documentaire ne répond pas complètement : le pourquoi et les pour quoi de la position belge ? Pourquoi la Commission des Plantes a-t-elle inscrite, en 1987 et non plus tôt, l’artemisia annua à la liste des plantes dangereuses ne pouvant être utilisées en tant que ou dans les denrées alimentaires ? Sur quelles bases scientifiques la dangerosité de ladite plante a-t-elle été établie ? Tous les membres de la Commission des Plantes peuvent-ils se prévaloir d’une totale neutralité scientifique ? Pourquoi nos pays voisins (L’Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg) en autorisent-ils librement la consommation ? Ces questions sont d’autant plus troublantes que les recherches scientifiques menées en toute indépendance en divers endroits du globe tendent à démontrer l’absence d’effets secondaires nocifs, et ce, alors même que le lariam, disponible chez nous, est quant à lui susceptible d’entraîner chez une personne sur cinq de graves troubles neuropsychiatriques. Enfin, est-il cohérent sur le plan sanitaire d’interdire l’artemisia annua, fût-ce-t-il en se retranchant derrière un douteux principe de précaution, et concomitamment, de s’enorgueillir à travers un pacte de santé joliment appelé « Pacte d’avenir pour le patient avec l’industrie pharmaceutique » de permettre la vente de médicaments très chers et dits « innovants » (dont l’efficacité thérapeutique est encore incertaine …), et ce, par le biais d’accords confidentiels dans le cadre de l’article 81 ? La santé risquerait-elle aujourd’hui de mettre en péril notre sécurité nationale au point d’en classer certains dossiers « Top secret », et ce, alors même que le Ministère de la santé publique annonce sur la première page de son site Internet vouloir mener une politique « transparente » ? Dans le même ordre d’idées, on peut également s’étonner que le même Ministère s’enorgueillit du fait que le « Pacte d’avenir » ait permis de conserver l’emploi de 15.000 emplois dans le secteur pharmaceutique. Les missions dudit Ministère auraient-elles été génétiquement modifiées, damant ainsi le pion au Ministère de l’emploi ?
« Malaria Business » ne nous révèlerait que la pointe d’un iceberg bien plus gigantesque ?

Au plan international, les interrogations sont tout aussi interpellantes. Que conclure de la politique sanitaire de l’O.M.S., qui adopte une posture tout aussi contradictoire que notre pays ? Certes, il ne fait plus de secret pour personne que l’organisme est dans une position pour le moins délicate en matière de financement, l’amenant au bord du suicide éthique eu égard à ses missions initiales. (Pour rappel, si en 1970, l’O.M.S était financé à 80% par ses Etats membres et à 20% par des donateurs privés, la proportion est aujourd’hui totalement inversée. Voir à ce sujet, le documentaire intitulé « L’OMS "Dans les griffes des lobbyistes ».) Mais s’arrêter à ce constat est comparable à contempler l’arbre qui cache la forêt. Car, comment expliquer la défection de ses Etats Membres à financer cet organisme ? Pourquoi, pour quoi et au profit de qui un tel abandon des pouvoirs publics ? À l’heure de la mondialisation, la santé ferait-elle figure d’exception, chaque état préférant opter pour une politique protectionniste ? Par ailleurs, n’y aurait-il-pas un hiatus entre les intentions humanitaires et philanthropique affichées par la Fondation Gates (premier pourvoyeur de fonds de l’O.M.S.) et les quelques 29 milliards de dollars investis en actions et obligations dans Wal-Mart, Coca-Cola, Pfizer (tiens, tiens…) et BAE Systems, et ce, sans compter ses liaisons dangereuses entretenues avec la firme agrochimique Monsanto (23 millions de dollars dans l’achat de 500.000 actions), le nucléaire et le secteur des O.G.M. Sans prétendre avoir la bosse des maths, serions-nous susceptibles d’aboutir à une équation mathématico-sanitaire pour le moins perverse et défiant le principe des vases communicants ?

Enfin, pour conclure, pourquoi nos Etats démocratiques, prétendument post-colonialistes, et autres associations caritatives auraient-ils le moindre intérêt à laisser mourir 500.000 personnes par an, majoritairement des enfants ?

Comme dans tout bon polar, il suffit probablement d’établir le ou les mobiles et de se demander à qui et en quoi profite le crime…


Christie Huysmans