Reconstitution d’un moment de l’histoire
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12:08 A L’EST DE BUCAREST

Corneliu Porumboiu (Roumanie 2006 - distributeur Benelux Film Distribution)

Mircea Andreescu, Teo Corban, Ion Sapdaru

89 min.
10 janvier 2007
12:08 A L'EST DE BUCAREST

Des films comme « 3h10 pour Yuma » ou « Minuit dans le jardin du bien et du mal » présentent l’avantage insigne de cadrer un propos sur une ligne qui soit à la fois du temps et de l’espace, donnant ainsi, immédiatement, au spectateur des repères qui titilleront son imagination en l’incitant à se demander « mais au fait que s’est-il passé à cette heure et à cet endroit » ?

Dans « 12h08 » nous sommes à Bucarest le 22 décembre 1989, en ce jour qui a changé la face de la Roumanie, et cela urbi et orbi, grâce aux images diffusées, par une télévision omniprésente, des 5 jours qui séparent la fuite des Ceausescu de leurs procès et exécution.

Seize ans plus tard, une télévision locale demande à deux habitants de revisiter ce moment historique. La question qui leur est posée est importante, car leurs réponses sanctionneront ce 22 décembre d’une aura révolutionnaire si la fuite a eu lieu après 12h08, c’est-à-dire après une ultime manifestation du peuple, ou d’une simple abdication si elle a eu lieu avant.

« 12h08 » est un film sur la mémoire, sur la fiabilité des images transmises par la télévision et sur la fragilité des témoignages humains qui s’extraient difficilement de la volonté de se présenter en héros des événements.

Mensonges, contre-vérités, affabulations pour l’un, professeur d’histoire (!) raciste et alcoolique, silence réprobateur et fabrication compulsive de cocottes en papier pour l’autre, un retraité misanthrope intuitivement conscient que l’Histoire ne s’écrit pas à la télévision.

Très vite le débat, cornaqué par un journaliste dépassé par les témoignages contradictoires des intervenants en direct sur l’antenne, tourne au happening surréaliste (Ionesco et son humour burlesque n’est jamais bien loin), pointe à la fois le danger de considérer la télé comme la source unique des informations et la misère matérielle et morale dans laquelle continue à croupir le peuple roumain, trois lustres après le départ des tyrans.

« 12h08 » est à la fois cocasse et dérisoirement cruel. On y rit souvent mais d’une façon jaune, triste et désespérée.

« 12h08 » est perçant comme une fraise, il vrille là où çà fait mal, dans ce tas d’images cathodiques qui définissent moins le réel que l’incohérence et le vide de sens.

C’est un film courageux, qui résonne, même si parfois sa colorature est impertinente, d’un chant douloureux sur les difficultés à émerger de décennies de dictature communiste.

C’est aussi un film challenge qui n’hésite pas à proposer, sur quatre-vingt minutes, ¾ d’ heure de débat, sans jamais lasser l’attention ou réduire l’intérêt du sujet.

Dépourvu de l’ample lucidité généreuse du magnifique film de Cristu Puiu « La mort de Dante Lazarescu » mais plus percutant que le très récent « Comment j’ai fêté la fin du monde » de Mitulescu, « 12h08 » mérite amplement la Camera d’Or décernée par le jury 2006 du Festival de Cannes.

Pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur le renouveau du cinéma roumain, l’achat du magazine
« Positif » de ce mois de janvier 2007 paraît un investissement judicieux.

(m.c.a)