Cinéphile
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

INLAND EMPIRE

David Lynch (USA 2006 - distributeur : Cinéart)

Laura Dern, Jeremy Irons

172 min.
7 février 2007
INLAND EMPIRE

Voir un David Lynch c’est retrouver le sens d’un cinéma inattendu. Celui qui fait d’une projection une expérience au seuil de laquelle la raison, la cohérence et la logique – ces trois garde-fous de la vie réelle - sont laissées au vestiaire.

Ces balises qui, au risque de réduire une pensée, cherchent à tout prix à comprendre, pour permettre selon Henri Michaux "à l’oiseau de proie - en l’occurence le rêve - qui plane au-dessus de la maison de se poser."

« INLAND EMPIRE » - le réalisateur tient beaucoup aux majuscules - est une œuvre à la fois étrange et familière. Etrange parce qu’elle mélange les contraires, le simple et le sophistiqué, l’innocent et le pervers, le cristallin et l’opaque.

Familière parce que « INLAND EMPIRE » est mû par un désir qui supportait déjà, il y a plus de 25 ans, " Eraserhead" : solliciter du spectateur d’entrer, par la médiation des images qui lui sont proposées, dans son propre « inland », son propre monde intérieur, dans celui des personnages et du metteur en scène.

L’entrecroisement de ces trois univers débouche sur un empire qui n’a rien à voir avec la maîtrise (dans l’acception d’ "empire de soi") mais avec une acceptation de l’emprise des effets biscornus et profonds d’une méditation. A laquelle Lynch se dit accroc depuis longtemps.

Cette plongée en lui-même à laquelle chacun est invité est un défi lancé à la passivité du spectateur.
Réfugié dans l’engourdissement d’une vision, il n’en retirera qu’une impression de chaos frénétique, d’inexpliqué et d’inexplicable.
Déterminé face à ce vertige d’images, de mots et de sons, à se laisser emporter par la suggestion hypnotique qui lui est proposée : et si aujourd’hui était demain ?, il en retirera un sentiment d’euphorie, de plaisir comme celui de la petite Alice lorsqu’elle a accepté de suivre le lapin sur les routes de l’au-delà des portes.

Laura Dern (*) est une actrice qui reprend (1ère d’une série de mises en abyme époustouflantes), dans un film dirigé par Jeremy Irons, le rôle d’une actrice qui serait morte, en cours de tournage, dans des conditions étranges.

Son visage, fébrilisé par le numérique - c’est la première fois que Lynch s’essaye à l’image vidéo basse définition - permet de donner expression à tous les fantasmes, sentiments et pensées qui la fractionnent. Sa capacité à rendre le malaise, l’obscène, l’énigmatique et le secret d’une mise en scène donnant tantôt l’impression d’être bâclée (**), tantôt hyper esthétisée, est fascinante.

Comme dans la plupart de ses autres œuvres, Lynch continue à imposer l’idée que le rêve et le trouble psychanalytique sont parties liées, qu’ils rythment une réalité dopée par un imaginaire hanté par ses propres obsessions (viol, infidélité, obligation d’assumer les dettes du passé, prostitution…).

Dans « INLAND EMPIRE » le film en train de se tourner s’appelle 47. Un sort semble s’y attacher.
Rien n’interdit d’y voir le reflet, à la fois calamiteux et fabuleux, du regard posé par Lynch sur Hollywood. Rien n’interdit non plus d’être sensible à la picturalité de ce regard dont l’acuité sera, dès le 3 mars, accrochée aux cimaises de la Fondation Cartier (***) qui consacre, pour 3 mois, une rétrospective aux dessins, peintures, photos et courts-métrages inédits du cinéaste. (m.c.a)

(*) dont c’est la 3ème collaboration avec le réalisateur après « Blue Velvet » en 1986 et « Sailor et Lula » en 1990
(**) Lynch reconnaît que c’est en tournant, comme elles lui venaient, les scènes du film que les idées de celui-ci lui sont apparues. Un processus de création qui rappelle les mécanismes de l’écriture automatique ou les réunions oulipiennes.
(***) 261 boulevard Raspail à Paris