Documentaire
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WE FEED THE WORLD

Erwin Wagenhofer (Autriche 2005 - distributeur : Imagine Film Distribution)
95 min.
14 mars 2007
WE FEED THE WORLD

Ce documentaire est au carrefour de deux regards, celui du reportage par l’articulation quasi algébrique de ses informations et celui de la critique par la dénonciation passionnée avec laquelle le réalisateur nous invite à plonger dans les coulisses mondiales du commerce et de l’industrie alimentaires.

Il y a plus d’un an Jonathan Nossiter proposait avec "Mondovino" une vision maligne et rusée de la mondialisation en opposant deux types de culture. Celle industrielle de Napa Valley (Californie) et celle, artisanale, de trois générations d’une famille bourguignonne. Ce film, à la fois épique et romanesque, vivifiait le droit à la singularité dans un monde en route vers l’uniformisation.

Changement de ton avec « Our daily bread » de Nikolaus Geyrhalter. Le regard se radicalise et devient interrogateur par rapport à la mécanisation à outrance d’une agriculture qui n’hésite pas à sacrifier, au Dieu "High Tech" et au nom d’une réduction maximale des coûts de production, l’intervention humaine

La force de ce documentaire sans commentaire réside dans un montage, à la fois poétique et apocalyptique, d’images et de sons qui donnait au spectateur l’impression qu’on ne voulait pas l’endoctriner mais simplement le prendre à témoin d’une réalité objective qu’il ignore ou dont il est (involontairement) complice.

Dans « We feed the world » le propos se fait plus didactique, plus militant et dénonciateur. Il n’hésite pas rentrer carrément dans le "lard" du sujet.

Enquêteur acharné, Erwin Wagenhofer a sillonné la planète pour y filmer le désarroi, la colère
de producteurs locaux dont l’activité est menacée, quand elle n’est pas détruite, par l’implantation de grandes sociétés multi et transnationales ne poursuivant qu’un objectif : le profit.

Peu leur importe que soient mis en péril des millions de petits emplois - certains (*) n’hésitent pas à avancer le chiffre d’un milliard de futurs « agriexclus » - ou l’équilibre des écosystèmes.

Sans verser dans la branchitude du catastrophisme à tout prix ou la vision du déclinologue pour qui le meilleur est passé depuis longtemps et le pire se rapproche, Erwin Wagenhofer souligne que si nous ne réagissons pas, l’ultralibéralisme qui gagne le monde de l’agro-alimentaire, comme Saturne le faisait de ses enfants, se nourrira de notre (« We feed the world") acceptation, en tant que consommateur soucieux de payer le moins possible ce qu’il achète, à voir détruire emplois, environnement et biodiversité.

Pour ne pas céder à la morosité engendrée par ces perspectives, plongez-vous dans la passionnante « Histoire mondiale de la table » (**) d’Anthony Rowley. Pour ce professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, préparer son menu quotidien ne relève pas que de la gastronomie. C’est aussi un acte politique. (m.c.a) 

 
(*) André Ruwet – www.imagine-magazine.com
(**) Ed. Odile Jacob