Autour d’un livre
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INFAMOUS

Douglas McGrath (USA 2006 - distributeur : Benelux Film Distributors)

Toby Jones, Sandra Bullock, Daniel Craig, Jeff Daniels, Hope Davis,

110 min.
16 mai 2007
INFAMOUS

Le cinéma entretient avec la mémoire d’intéressants rapports. Tantôt il permet de se réjouir d’en avoir en établissant d’(im)pertinents parallèles entre deux films, tantôt il excuse d’en être dépourvu puisqu’il repasse le même plat endéans la même année cinématographique.

En effet, il y a quelques mois, dans « Capote » de Bennet Miller, Seymour Hoffman (Oscar du meilleur acteur 2006) endossait le maniérisme excentrique de l’écrivain, aujourd’hui incarné par Toby Jones, pour le suivre durant les années d’élaboration de son chef d’œuvre « In cold blood ».

La différence entre les deux regards des cinéastes est mince et pourtant essentielle. Mince parce que les faits restent ce qu’ils ont été : l’enquête menée sur l’assassinat d’une famille de fermiers dans le Kansas à la fin des années mil neuf cent cinquante et l’accompagnement des meurtriers durant leurs procès et pendaisons.

Essentielle parce que l’angle d’approche n’est pas le même, rappelant que face à la même palette d’évènements, les réalisateurs conservent le libre arbitre de les chromatiser autrement. Choix subjectif qui incite Miller à opter pour la pose de tons froids, presque didactiques et McGrath à privilégier la touche de tons chauds (les rouges, les roses notamment) et plus sensibles.

Toby Jones (dont la prestation emprunte moins au registre de la composition que celle de son prédécesseur, en raison sans doute d’une plus grande ressemblance physique avec le personnage) s’empare d’un réel identique mais s’y investit autrement. D’une façon plus ambigüe et vertigineuse, que les débordements émotionnels et l’absence de mise à distance finiront par engloutir.

Il y a quelque chose de morbide dans l’intérêt porté par Capote à l’un des assassins, Perry Smith.
Comme s’il retrouvait en lui, plus que le symbole tragique de l’Amérique des délaissés, le petit garçon abandonné qu’il avait été, à jamais fragilisé par le suicide de sa mère.

La prestation magistrale de Jones est soutenue par l’exceptionnelle brochette d’acteurs qui l’entourent. Notamment une Sandra Bullock (*), qui en petite souris grise, rude et tendre, prouve qu’elle est bien plus que « Miss Congeniality » ou la routinière « girl next door » de la plupart de ses rôles et un Daniel Craig à l’humaine noirceur qui aurait intéressé le Fassbinder de « La loi du plus fort ». Sans parler de Jeff Daniels dont la ressemblance avec Albert II de Belgique est saisissante...

Il y a tout un panel de morts dans « Infamous ». Quatre sont assassinés, deux sont pendus et quant au dernier, l’écrivain lui-même, serait-il déplacé de voir une forme de suicide dans son incapacité à créer après « In cold blood ». L’égarement de son inspiration scellant un collapsus affectif contre lequel son habituel cynisme n’a plus d’emprise.

Les sentiments de douleur et de solitude qui imprègnent ses premières nouvelles (**) n’ont jamais quitté Capote. Et faire le gandin à Manhattan ou le clown sur la Riviera ne le sauvera pas d’une détresse ontologique que le hasard d’une rencontre en plein Midwest est venue à jamais réveiller. (m.c.a)

(*) elle incarne Harper Lee, la romancière à laquelle on doit le « How to kill a mocking bird » porté à l’écran par Robert Mulligan avec un mémorable Gregory Peck dans le rôle d’un avocat intègre et profondément humain.
(**) « Un été indien » éd.Rivages, "Une lampe à la fenêtre" éd. Presses Pocket bilingue