Comédie sociale
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LE DIREKTOR ou THE BOSS OF IT ALL

Lars von Trier (Danemark 2007 - distributeur : Cinéart)

Jens Albinus, Peter Gantzler, Sofie Grabol

99 min.
20 juin 2007
LE DIREKTOR ou THE BOSS OF IT ALL

Farce et attrapes sur les lieux du travail.

Est-ce pour compenser son fond dépressif que von Trier a subitement eu envie de faire un film drôle qui tourne le dos à la noirceur de ses deux précédents longs-métrages, « Dogville » et « Manderlay » ?

Peut-être. Mais « The direktor » n’est pas un film-prozac, et même s’il fait souvent sourire, le socle d’ambiguïté qui le fonde est révélateur de la puissance sarcastique caractéristique du cinéaste depuis la série télévisée (« L’hôpital et ses fantômes ») qui l’a propulsé sur les sentiers pentus de l’auteur-culte.

Intelligent, jubilatoire, subtil, original, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire un film qui peut, apparemment, donner l’impression de se démarquer d’une œuvre mais qui ne fait qu’en explorer un pan jusqu’ici demeuré incomplètement traité.

Qui, dans une PME de services informatiques, prend les décisions ?

Pour tenir à distance oppositions et conflits, le chef d’une entreprise danoise fait croire à ses employés que les décisions désagréables sont prises par un directeur fantôme. Lorsqu’un investisseur islandais se présente pour acheter la société, contraint de donner corps à son mensonge, il embauche un acteur.

Il y a beaucoup de burlesque dans cette farce qui pointe l’absurde du mode de fonctionnement
en milieu entrepreneurial (*). Un burlesque qui permet de porter un doigt, avec une légèreté à laquelle von Trier ne nous a pas habitués, accusateur sur les manipulations, hypocrisies et
peurs qui tissent les relations professionnelles et humaines.

Avec « The direktor » on est bien loin de la vigueur de la pensée sartrienne qui assoit, par l’action, la prise de l’homme sur le réel. On est dans le consensus mou et pseudo affectif dans lequel se diluent les notions de prise de décision et de responsabilités.

Kaurismaki, dans "Au loin s ‘en vont les nuages", faisait du tirage au sort le doigt du destin pour désigner les exclus d’une restructuration, Lars von Trier, avec le même esprit dénonciateur, pose un regard décapant sur la mesquinerie du monde du travail.

Film politique, film pamphlet, « The direktor » est aussi une manifestation de la passion du cinéaste pour l’esthétique. Filmant en Automavision - ce procédé qui permet aux cadrages d’être contrôlés par ordinateur, il ne résiste pas, tel un moderne Velasquez (**) à furtivement marqué le début du film de son reflet dans une vitre. Façon à la fois de s’imposer avant de disparaître et de passer le témoin au spectateur dont il sollicite ainsi la vigilante et active participation. (m.c.a) 

(*) comme le film de Jean-Marc Moutout en avait repéré la brutalité dans « Violences des échanges en milieu tempéré » ou celui de Fabienne Godet la stressante pression dans « Sauf le respect que je vous dois ».
(**) Chantal Akerman dans "Là-bas" et Philippe Harel dans "La femme défendue" avaient eu recours à cette même fugitive apparition comme pour mieux alléguer de la subjectivité du réel dans un temps et un lieu définis.