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GRIZZLY MAN

Werner Herzog (USA 2005 - distributeur : Paradiso Filmed Entertainment)

Timothy Treadwell

103 min.
22 mars 2006
GRIZZLY MAN

La philosophe Elisabeth de Fontenay, dans son œuvre phare « Le silence des bêtes », établit un parallèle entre l’énigme de l’animalité et celle de l’humanité.
Herzog se pose lui aussi des questions sur ces 2 natures, à la fois proches et lointaines, dans ce film fougueux. Dans lequel il décrit, avec la radicalité qui lui est coutumière, l’étrange expérience d’un homme qui, parce que mal adapté à la société, décide de passer, dans un état de symbiose angélique et dangereuse, ses étés en compagnie de grizzlis dans un parc naturel de l’Alaska.

Cet homme, Timothy Treadwell, consumé par sa passion candide et irrespectueuse pour ces animaux qu’il considère plus comme des peluches-amies que comme des entités vivantes ayant leur propre nature, finira dévoré par un de ses ours auxquels il a voué une partie de sa vie.

Ce film est une rencontre superposée de deux regards singuliers : celui de Treadwell sur lui-même et les grizzlis (il a laissé plus de cent heures de documents filmés) et celui de Herzog sur Treadwell. Chaque plan est imprégné de cinglerie : celle d’un homme qui, pris dans les sombres méandres d’une rageuse paranoïa, s’isole dans la folie et celle d’un cinéaste dont le génie créateur s’est toujours focalisé sur des personnages hantés par la démesure ( « Woyzeck », « Aguirre », « Mein liebster feind - Klaus Kinsky »).

Tantôt exaspéré par l’infantilisme de Treadwell, tantôt dérouté par ses excès réactionnels, le spectateur, fasciné et médusé, réalise qu’il assiste, en live, au dévoilement d’un monstre qui considère les animaux comme sa propriété et dont l’inclination n’est pas exempte de tendance suicidaire.

Le cinéma d’Herzog est passionnant parce que sa cohésion quasi fusionnelle avec son sujet, - ce n’est qu’en fin de film qu’il exprimera en voix off, son désaccord avec son héros – échappe à toute prise de position conventionnelle. Il arrive à capter ce moment rare du basculement dans cet au-delà du réel dont on ne ressort pas indemne.

Et ce avec un lyrisme économe qui fait apparaître comme bien raisonnable la relation entretenue par Sigourney Weaver (dans le rôle de Diane Fossey) avec les grands singes dans « Gorillas in the mist ». 

Film cernant magnifiquement la nature qu’elle soit géographique - les paysages sont de toute beauté - ou humaine dans ses débordements, « Grizzly man » n’est pas loin d’être une vignette clinique sur un profanateur de limites, celles qui existent entre l’humanité et l’animalité. Celles dont on ne revient pas si on les franchit. (m.c.a)