Drame social
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I DON’T WANT TO SLEEP ALONE

Tsai Ming-liang (France/Taiwan 2006 - distributeur :

Lee Kang-sheng, Chen Shiang-chyi, Norman Atun

118 min.
14 novembre 2007
I DON'T WANT TO SLEEP ALONE

« I don’t want to sleep alone » ou « I don’t want to miss à Tsai’s movie ».
Depuis la découverte de ce cinéaste, l’un des plus créatifs de la planète cinématographique de ces dix dernières années, à Flagey en septembre 2004 (*), le mot addiction se colore de délicatesse, de puissance et de trouble.

Participent de cette assuétude l’impatience et le plaisir chaque fois renouvelé de retrouver celui sans lequel le cinéma de Tsai n’aurait sans doute pas la même élégance mélancolique : Lee Kang-sheng, cet acteur magnifique rencontré pour la première fois en 1991 lors du tournage du film video « The kid » projeté au Musée du Cinéma dans le cadre de l’hommage rendu par la Cinémathèque au cinéaste durant ce mois de novembre.

Par son subtil approfondissement des mêmes thèmes de métrages en métrages, le réalisateur permet au spectateur de se connecter à la fluidité de ses émotions, avec la même aisance ou la même surprise que les personnages tsai-iens lorsqu’ils incorporent, de façon volontaire ou contrainte, l’élément eau.

Cet élément sans lequel la vie est inconcevable et avec lequel, s’il est trop envahissant, la vie
peut se perdre.

Jusqu’à présent, le cinéma de Tsai se fait et se pulse à Taipei, sa ville d’adoption. Dans « I dont’ want… », le cinéaste choisit de faire de son pays natal, la Malaisie et de sa capitale, Kulua Lumpur, la force centripète de cette histoire dans laquelle misère sentimentale et misère sociale vont de pair.

Hsiao Kang (discret hommage à l’autre grand Maître du cinéma twaiwanais - Hou Hsiao-Hsien ?), jeune immigré et sans-abri chinois est recueilli par Rawang, un travailleur bangladeshi. Comme souvent dans la galaxie des relations sentimentales mises en place par le réalisateur, les amours
se déclineront de façon croisée et expressivement sexualisée. Hsiao sera convoité par son hôte, par une jeune serveuse de bar et la patronne de celle-ci fascinée par la ressemblance entre son jeune amant et son fils comateux.

Chez Tsai on ne parle pas beaucoup, pourtant ses films ne sont pas silencieux. Ils baignent de musique, celle de Mozart, de Charlie Chaplin, de chansons populaires asiatiques. Et bouillonnent de bruits urbains ou humains. Les deux s’entremêlant ou se confrontant pour mieux cerner la dualité de la vie déchirée entre trivialité et spiritualité - Tsai est devenu bouddhiste peu avant le tournage de "La saveur de la pastèque" - entre soif d’aimer et hésitation à aimer, entre burlesque et tristesse.

Chez Tsai on ne bouge pas beaucoup, pourtant ses films ne sont pas figés. Vraisemblablement parce que son usage minimalisé des travellings est compensé par une abondance dans les points de vue suggérés par des placements soignés (certains disent maniérés) de caméras. La fixité de certains des plans servant, aussi étrangement que superbement, de plateforme à de lyriques envols comme celui, inoubliable, de ce papillon qui quitte l’épaule de Hsiao pour survoler, léger et coloré, un plan d’eau glauque et croupissante. 

Chez Tsai les matières et les attitudes ont une dignité. Fluides humains les plus triviaux saisis avec une évidence évitée par la plupart des cinéastes, gestes du quotidien capturés avec une vigueur parfois effrayante, sont là pour rappeler que le vivant n’est jamais qu’un mourant en attente.

Véritable boussole de ce film à plus d’un titre poignant, un matelas. Un matelas de récupération, sale, parasité et pourtant sanctifié par sa grâce à recevoir les preuves d’amour de ses résidents.

Un matelas pour un cœur, un corps, une main tendue à l’autre. Un matelas à partager, quand on n’a rien d’autre à offrir. Un matelas comme support d’une existence dont il est parfois malaisé de séparer la partie rêvée de la partie vécue.

La beauté et l’intelligence du cinéma de Tsai sautent aux yeux même si l’on ne connaît rien de ses intentions de cinéaste. Mais prendre connaissance de celles-ci, en lisant par exemple l’interview qu’il a accordée à Emmanuel Burdeau et Antoine Thirion dans « Les cahiers du Cinéma » de mai 2007, ajoute à son regard une acuité politique et économique qui font de lui non seulement un esprit libre mais aussi un esprit révolutionnaire. (m.c.a)

(*) Lors d’une mini rétrospective au cours de laquelle ont été projetés les 4 films suivants : « The river » (1997), « The hole » (1998), « What time is it there ? » (2001), « Good bye dragon inn » (2004)