Ecran Total
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Coup de coeurQUIAN MEN QIAN - DANS LES DECOMBRES

Olivier Meys (Belgique 2008 - distributeur : Ecran Total)

en synergie avec le cinéaste Zhang Yaxuan

86 min.
16 juillet 2008
QUIAN MEN QIAN - DANS LES DECOMBRES

Comment ne pas évoquer à la vision de ce film à la fois mélancolique et vigoureux les enjeux de l’effarante volonté de croissance de la Chine et son besoin quasi névrotique d’être reconnue comme une grande puissance ?

Prête à sacrifier les plus faibles de ses citoyens pour satisfaire à quelque illusoire vertige de grandeur. Incarnée par la tenue, en ce mois d’août 2008, des XXIV Jeux Olympiques

Il y a dans le documentaire d’Olivier Meys un véritable regard, humain et de proximité, sur le prix à payer pour enjamber, à coups de bottes de 7 lieues (et de coups de pied), le retard de modernité d’un pays qui, sans s’encombrer de ses retombées sociales et environnementales négatives, a décidé de persévérer dans l’idée du grand bond économique en avant.

Initié par Mao entre 1957 et 1961 et auquel les dirigeants de la Chine moderne entendent, même si le « Petit Livre Rouge » est depuis longtemps démodé, redonner une dictatoriale vigueur en re-paramétrant la conception architecturale des grandes villes, sans se soucier des protestations de leur population.

Dans son film précédent « Vies nouvelles » (2005) le réalisateur pointait la dislocation d’une famille quelques mois après l’inauguration du barrage des Trois-Gorges.

Dans « Quian men qian » il suit l’exode des habitants d’un quartier populaire de Beijing, chassés de leurs maisons, dans l’esprit « tabula rasa » de tout ce qui se met en travers du chemin des nouveaux dieux Profit et Rentabilité.

Que la Chine vive un moment historique, chacun en convient. Ce n’est pas sa nécessité qu’Olivier Meys questionne, c’est son modus operandi

Qui pousse les décideurs à agir « trop vite, trop haut et trop fort » comme le souligne la passionnante exposition « Dans la ville chinoise - regards sur les mutations d’un empire » qui se tient jusqu’au 19 septembre 2008 au Palais de Chaillot à Paris.

Sans voix off, sans autre volonté que de montrer une réalité par le biais d’images et de paroles -celles des expropriés - avec un souci de justesse et de sobriété dans la mise en scène, le réalisateur fait non seulement œuvre de documentariste mais aussi d’archiviste.

Pour témoigner, comme l’a fait avant lui Jia Zhank-ke (*) pour la ville de Fengjie, de la fin d’un monde. Celui des Hutongs, ces ruelles étroites dans lesquelles, depuis la dynastie Yuan, les Chinois ont l’habitude de se réunir pour discuter, manger ou jouer au mah-jong.

Pour garder trace du peu de souci des autorités pour ceux qu’une évolution menée au pas de course laisse démunis et privés de dignité.

Le progrès citadin est souvent mal réparti. S’il fait le bonheur des spéculateurs et investisseurs, il
en pousse d’autres « dans les décombres » et démolitions. Qui ne sont pas que de maisons mais aussi de façons de vivre.

Emile Zola, dans « La curée » assimile la rénovation haussmannienne de Paris à un massacre, à « une découpe à coups de hache » entraînant dans son sillage les ombres de la misère.

Il n’y a pas (encore) de nom pour désigner le soleil noir qui accompagne les laissés pour compte du relookage urbain.

Oserons-nous celui de victimes d’ « urbicide » ? (m.c.a)

(*) dans « Still life », « Dong ». ou encore Zhang Yang dans son beau film tragi comique « Getting home ».