Festival - Filmer à tout prix 2008
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TEN + 4

Mania Akbari (Iran 2007 - VO sous titres français) - Projeté le 19 novembre à 22 heures au Botanique (Orangerie)

Mania Akbari, Roya Akbari, Mina Hamidi, Amin Maher

77 min.
19 novembre 2008
TEN + 4

Les visages de la femme au crâne rasé – Ten +4 ou le cinéma magnifique de Mania Akbar

“Je n’ai jamais planifié de faire ce film. Je devais travailler sur un autre projet… Mais on m’a diagnostiqué un cancer. Abba Kiarostami m’a suggéré de faire une suite à son film Ten et Ten + 4 est né”.

 

Cette phrase, s’imposant sur fond d’écran noir, est prononcée par la voix claire et forte de Mania Akbari. Artiste peintre née à Téhéran en 1974, actrice et réalisatrice de 20 Fingers, Akbari se retrouve devant et derrière la caméra de son film Ten +4, pour prendre à bras le corps sa maladie, mais aussi les questions sur le paraître et la création qui en découlent. 

 

Jeu de miroir et de dispositif avec Ten dans lequel elle a tourné en tant qu’actrice, Ten + 4 impose la filiation par ses mots au début du film, mais aussi par la reprise d’un plan tiré du film de Kiarostami : assis sur le siège avant d’une voiture, Amin, jeune garçon, se dispute avec sa mère qui est en hors-champ. Un fondu au noir et nous retrouvons Amin, 4 ans plus tard, en pleine discussion avec Mania elle-même, mère à l’écran et à la ville.

 

C’est au travers du regard masculin d’Amin que va se façonner la première image d’une nouvelle Akbari : celle au crâne rasé, qui lui ressemble à présent d’une manière étrange, amenant la confusion des genres et le repositionnement des relations. 

Le film est sans cesse traversé par cette reconsidération du soi au travers du regard d’autrui : au fil des rencontres successives avec un ensemble de femmes (entre autres, Mania et Roya Akbari), la nature de son rapport au monde va progressivement se dessiner.

 

Et si Akbari utilisait la maladie pour imposer un jeu (d’actrice) au regard du monde qui l’entoure ? Apparaît dès lors son propre questionnement sur la représentation et l’identité féminine, sur le jeu des apparences et la violence quotidienne qui atteint les femmes iraniennes.

 

Touchée au plus intime de son corps, de sa chair, elle porte aussi, de par son crâne rasé, la preuve évidente et cruelle aux yeux du monde. Sa réflexion s’articule donc autour de la surface mais aussi du jeu qu’elle propose en tant qu’actrice dans ce drame qu’est son cancer ; le visage fort et souriant qu’elle offre aux autres, celles qui l’entourent, la voient déjouer la maladie et qui s’effondrent en larmes ou finissent par la rejeter pour tant de bravoure.

 

Seules sa mère et la caméra parviendront à voir son vrai visage, celui de la souffrance, de la frustration, de sa lassitude face à des séances de chimiothérapie qui l’épuisent.

L’urgence mais aussi l’importance de ce film se situent dans les questions qu’il pose : celle de la place des femmes dans la société iranienne, ou même mondiale, actuelle, le constant regard des autres sur soi, quel que soit notre état, et plus encore lorsque la maladie se lit littéralement sur un corps, le transformant malgré soi. Séquence saisissante à ce propos, peut-être la plus emblématique du film, lorsqu’un homme l’arrête au volant de sa voiture lui demande ce qu’elle est - homme ou femme – décontenancé par le crâne rasé et son cou découvert.

 

Mais l’urgence et la nécessité de voir ce film se nichent aussi dans les détails qui déclenchent une émotion à fleur de peau : à la rigidité et la frontalité des cadrages s’opposent les gestes posés, les mains filmées qui apaisent le corps ou reconstruisent les visages comme dans cette extraordinaire séquence où Mania remaquille Roya dont les larmes ont fait couler le mascara.

 

Enfin, le chant surgit de plusieurs voix, vécu comme un miroir apaisant ou parfois cruel, puisque, comme le dit Akbari elle-même « Pour moi, l’art est quelque chose qui agit comme un miroir et qui peut aider à grandir et changer, qui crée une pondération constante dans votre esprit. C’est ce qui vous fait voir vous-même et questionner les choses telles qu’elles sont. C’est un point d’interrogation. » Muriel Andrin (Université Libre de Bruxelles)